Plus la délinquance baisse, plus la violence augmente
Brice Hortefeux a présenté des statistiques de la délinquance en baisse. A partir des mêmes données, OWNI démontre que les violences physiques ont, elles, explosé de 90%.
La sécurité ne doit pas être un thème de polémique, c’est un thème d’union, qui doit rassembler, mais les Français doivent savoir la vérité.
Brice Hortefeux, TF1, le 20 janvier 2011
Fait relativement inédit, Brice Hortefeux a tenu à illustrer, dans le JT de TF1, la baisse de la délinquance dont il s’enorgueillit avec un graphique pédagogique. A OWNI, on estime nous aussi que “les Français doivent savoir la vérité“. Alors nous avons nous aussi fait un graphique pédagogique, à partir des mêmes données, et pour le comparer à celui du ministère de l’Intérieur (à 1′ sur la vidéo).
Il y a une baisse de la délinquance globale, de plus de 2%, plus forte encore que celle de l’année dernière, et qui s’inscrit dans la durée, puisque cela fait 8 ans qu’il y a une baisse de la délinquance année après année.
Pour illustrer son propos, Brice Hortefeux a donc sorti un graphique montrant une hausse de 17,8% de la délinquance de 1996 à 2002, suivi d’une baisse de 16,2% depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au poste de ministère de l’Intérieur. Ce qui, dit autrement, revient également à constater que la délinquance a effectivement baissé de… 1,3% depuis 1996 :
+90% de violences physiques
Le rapport sur la Criminalité et délinquance enregistrées en 2010, basé sur les faits constatés par les services de police et les unités de gendarmerie et qui a permis au ministère de l’Intérieur de pondre ce graphique, est un peu plus complet… sauf qu’on n’y retrouve aucune trace de cette hausse socialiste, non plus que de cette baisse sarkozyste, et que Brice Hortefeux ne précise aucunement ce qu’il entend exactement par “délinquance“.
Un premier graphique présente cela dit l’évolution des “faits constatés d’atteintes aux biens, d’atteintes volontaires à l’intégrité physique et d’escroqueries et infractions économiques et financières entre 2005 et 2010“. C’est de ce graphique que serait apparemment tiré le chiffre de la “baisse de 1,9%” vantée par Brice Hortefeux.
En violet, le nombre de faits constatés, pour 1000 habitants, d’atteintes aux biens; en orange, les atteintes volontaires à l’intégrité physique; en vert, les escroqueries et infractions économiques et financières. On voit bien que la délinquance baisse. Par contre, quand on ne visualise que les “atteintes volontaires à l’intégrité physique” (en orange), là, ça ne baisse plus, ça explose, de plus de 90% depuis 1996 (=(7,4-3,9)/3,9*100), et de près de 16% depuis 2002 (voir le tableur) :
Dans l’interview qu’il a accordé au Figaro, et que l’on peut retrouver sur le site du ministère de l’Intérieur, Brice Hortefeux reconnaît que “les atteintes aux personnes restent le défi à relever” :
Point noir de toute société développée », les atteintes aux personnes ont vu leur hausse limitée à 2,5% en 2010. « C’est encore trop » a estimé le ministre, avant de souligner que « comparé au rythme annuel de plus de 10% par an sous le gouvernement socialiste », ce résultat indique que « la spirale infernale a été cassée ». Et le ministre de l’intérieur de préciser que « le phénomène des violences est désormais circonscrit géographiquement » puisque « les violences sont en baisse sur 90% du territoire ».
Le rapport d’où sont tirés les chiffres de Brice Hortefeux ne fait pas mention de cette baisse des violences “sur 90% du territoire“. A contrario, il évoque “la relative régularité du taux d’accroissement annuel des faits constatés d’atteintes volontaires à l’intégrité physique depuis 2007, soit + 2,4 % en 2008, + 2,8 % en 2009 et + 2,5 % en 2010“, une hausse de 4,3% des faits de “violence physiques crapuleuses” en 2010, ainsi qu’un “fort ralentissement de l’augmentation” (sic) des faits constatés de” violences physiques non crapuleuses” qui, après avoir doublé de 1996 à 2006, a augmenté de 28% en 5 ans. Et ce ne sont pas les seuls chiffres à exploser de la sorte :
En 2005, moins de 150 000 faits de coups et violences volontaires non mortels sur personnes de 15 ans et plus ont été constatés. En 5 ans, ce nombre s’est accru de près de 30 % (soit + 44 255 faits constatés).
Le nombre de faits de violences à dépositaire de l’autorité est proche de 27 500 en 2010, soit + 4 093 faits constatés en 5 ans (+ 17,5 %). Il dépasse 17 000 pour les
violences, mauvais traitements et abandons d’enfants, en hausse de plus de 37 % par rapport à 2005 (soit + 4 620 faits constatés).
“Un numéro digne des vendeurs d’épluche-patates magiques sur les marchés”
Le rapport présente également d’autres données attestant, a contrario, d’une baisse de certains indicateurs : le taux d’homicides (“hors tentatives“) est ainsi au plus bas depuis 1996. Mais le nombre de tentatives d’homicides enregistré en 2010, lui, “augmente de 13%“. Les statistiques sont politiques, et l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, tout dépendant de la façon de les présenter ou, a contrario, de les noyer dans la masse.
Dans son éditorial politique sur France Inter, Thomas Legrand déplore “un numéro digne des vendeurs d’épluche-patates magiques sur les marchés” :
Le ministre a sorti de sa serviette un panneau cartonné avec le chiffre de la délinquance. (…) Le problème c’est que ce chiffre est malléable à l’envie (et) que la violence ressentie par la population, celle qui pourrit la vie et qui accroît le sentiment d’insécurité c’est, évidemment, la violence aux personnes. C’est de celles-là qu’on parle quand on parle de l’insécurité et non pas des homicides, par exemple, qui décroissent depuis des décennies régulièrement. Et bien la violence aux personnes augmente de 2, 5% à 3% chaque année depuis 2005.
Dans sa critique bien troussée de la com’ rituelle du ministre de l’Intérieur, le sociologue Laurent Mucchielli revient également sur cette explosion des atteintes volontaires à l’intégrité physique :
Quant aux violences interpersonnelles, elles continuent leur hausse apparente, mais il faut appliquer la même rigueur de raisonnement et dire que le ministre n’en est pas davantage responsable. Cette hausse est régulière depuis maintenant plusieurs décennies. Et les recherches montrent qu’elle résulte principalement non pas d’une transformation des comportements mais d’une plus forte dénonciation de comportements classiques tels que les violences conjugales et les bagarres entre jeunes.
Des statistiques “indépendantes” ?
Afin d’asseoir la crédibilité de son propos, et de son graphique, Brice Hortefeux n’avait pas hésité à expliquer sur TF1 que les chiffres présentés “ne viennent pas du ministère de l’Intérieur, mais d’un observatoire indépendant“.
En l’espèce, il s’agit de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice (INHESJ), “établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du Premier ministre“, sis à l’École militaire de Paris.
En matière d’indépendance, on a vu mieux : l’INHESJ est en effet dirigé par André Michel Ventre, ex-contrôleur général des services actifs de la police nationale, et ancien secrétaire général du syndicat des commissaires et haut fonctionnaires de la police nationale (SCHFPN, surnommé le Schtroumpf, et connu pour son soutien à Nicolas Sarkozy). Et sa création, en 2009, avait été saluée par une salve de chercheurs et magistrats dénonçant une “mise sous tutelle de la statistique pénale” par le ministère de l’intérieur…
L’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP), le département de l’INHESJ chargé de la production statistique, est quant à lui présidé par Alain Bauer, le très contesté Mr Sécurité de Nicolas Sarkozy, ce qui faisait craindre à leurs opposants que ce “devienne une sorte de verrou pour ne laisser voir que le commentaire qu’il veut bien donner“… CQFD.
A toutes fins utiles, on rappellera que depuis 2002, Nicolas Sarkozy a fait adopter pas moins de 42 lois sécuritaires…
PS : le théorème statistique qui sert de titre à cet article est directement inspiré de la maxime shadokienne selon laquelle « Ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir. Autrement dit : plus ça rate, plus on a de chances que ça marche. »
Photo d’Alain Bauer, CC Cornouaille.
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Illustration de Une Marion Boucharlat
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La politique du chiffre se calcule
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