Le G20 va faire sonner faux les trompettes, en vue d’annoncer l’adoption d’une nouvelle régulation des banques (Bâle III), bien qu’elle soit encore arrêtée à mi-chemin, faute de dispositions anti-sytémiques que l’on ne parvient pas à définir et devant la levée de boucliers des mégabanques. Mais il laisse largement de côté celle des produits financiers sophistiqués et des marchés, sur lesquels se réalisent leurs transactions.
L’avenir du shadow banking est dans ces conditions pleinement assuré, les banques utilisant déjà leurs filiales pour contourner les réglementations actuelles et futures. Certains analystes considérant de surcroît que les restrictions apportées à l’activité des banques va les amener à prendre encore plus de risques dans le secteur non réglementé, afin d’améliorer leur retour sur fonds propres, qui vont devoir être augmentés.
Accréditant cette perspective, Ceyla Pazarbasioglu, une experte du FMI, vient d’évoquer dans un document appelé « Conséquences des réformes de la régulation sur les institutions financières grandes et complexes », la possibilité que :
certaines activités pourraient se déplacer vers le secteur bancaire parallèle, moins régulé, en raison de la hausse du coût réglementaire de telles activités.
Décrivant au passage le mode opératoire qui pourrait être suivi :
La plupart de ces institutions ont des modèles économiques souples, et par conséquent pourraient être en mesure de faire bouger leurs activités depuis des secteurs régulés vers d’autres non régulés, par exemple la gestion d’actifs, les fonds spéculatifs, ou vers d’autres régions ou pays où la régulation coûte moins (…) Et donc, au lieu de réduire véritablement le risque systémique, nous pourrions finir par le déplacer vers d’autres zones d’ombre qui pourraient à l’avenir revenir nous hanter.
Que propose le document du FMI, pour s’en prémunir ? Il appelle à une « coordination mondiale pour établir des mécanismes efficaces de démantèlement et de partage des tâches pour gérer les institutions multinationales en faillite », car – estime-t-il – « les faillites futures sont inévitables ». « Un accord sur les régimes transnationaux de démantèlement doit être une priorité élevée » avance-t-il en conséquence, exigeant « un engagement politique aux plus hauts niveaux ».
Quand ce ne sont pas les Etats européens – dont la faillite future doit être organisée afin d’éviter les débordements – ce sont les banques transnationales, c’est-à-dire les mégabanques, que l’on cherche à munir d’un dispositif de même type, en s’appuyant sur l’établissement par leurs soins de « testaments ». Laissant pendante et ouverte, exactement comme pour le futur « dispositif de crise » européen, la très délicate question de qui va payer l’addition. Ainsi que, dans le cas des mégabanques, celle de l’autorité suprême qui pourra imposer les décisions. Il y a encore du pain sur la planche !
En Europe, on avance à pas de fourmis. Ici, on propose de « ne plus autoriser » (pour ne pas dire interdire) les ventes à découvert « à nu » des actions et des obligations d’Etat, là de mieux « encadrer » le trading à haute fréquence, « en bonne intelligence avec les Etats-Unis » est-il précisé. A ce propos, on attend toujours qu’un accord se fasse à propos du passeport Européen des hedge funds, bloqué par les Britanniques et dénoncé par les Américains, dont l’objet est de mieux les identifier et contrôler.
Faudra-t-il que la bataille soit terminée pour que la suggestion de Michel Barnier, commissaire chargé des affaires financières, de « rééquilibrer les groupes d’experts » conseillant la commission, afin qu’ils ne soient plus sous l’écrasante domination des représentants de l’industrie financière, connaisse un début d’application ?
Le dossier des agences de notation fait aussi couler beaucoup d’encre parmi les Européens, le Comité de stabilité financière (FSB) s’en étant également emparé. La confiance qui leur est accordée, remarque ce dernier, conduit à une « réduction néfaste de la capacité des banques, investisseurs institutionnels et autres acteurs de marché à évaluer le risque de crédit ». Le FSB en tire la conclusion naturelle qu’il faut « réduire la dépendance mécanique aux notations et encourager l’amélioration des capacités à évaluer de manière indépendante le risque de crédit ». Par « dépendance mécanique », comprenez prise en compte de leur avis.
Implacable logique qui contourne toute interrogation sur la faisabilité même de cette évaluation, dans les conditions concrètes du marché, ainsi que sur l’implication des agences de notation dans un système revenant à leurrer et non pas à éclairer. Aboutissant à la magistrale proposition, faite aux autorités nationales, de « si possible » exclure les agences de notation comme instruments d’évaluation des risques, et de les remplacer par « des alternatives plus
adaptées », sur lesquelles on n’en saura pas plus. C’est ce qui s’appelle faire un grand pas en avant.
Enfin, le nouveau contexte politique américain amène à s’interroger sur les velléités annoncées des républicains de revenir sur les pourtant timides dispositions de la loi Dodd-Frank, créant à tout le moins un climat très défavorable aux tentatives de certains régulateurs, qui ont le mandat de définir les modalités d’application, de les durcir.
Tout cela ne peut être compris que comme l’expression d’une profonde connivence avec le système financier, à moins que cela ne résulte, dans le meilleur des cas, d’une toute aussi grande incapacité à appréhender dans toute sa dimension la crise actuelle. Car cela impliquerait des mises en question indicibles.
Au bout du compte, qui va croire cette nouvelle chanson ?
Billet publié initialement sur le blog de Paul Jorion sous le titre Une régulation en faillite.
FlickR CC Stolen Art ; Fatman walking ; The Library of the Congress.
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