Seules quelques webradios et quelques télévisions satellitaires permettent aux Coptes de s’exprimer en Egypte. Car les onze chaînes de télé hertziennes et les vingt radios FM, aux ordres du gouvernement, ne s’adressent qu’aux musulmans. Mais l’attentat du 31 décembre et la peur du terrorisme pourraient bien rapprocher les deux communautés.
Le 6 janvier, à 22 heures, la messe de Noël vient de se terminer. En plein cœur du Caire, les Coptes quittent en silence l’église Kasr el-Doubara, protégée par des barrières, une ribambelle de policiers et un portique de sécurité. Depuis l’attentat du 31 décembre (vingt et une personnes tuées, cinquante blessées) à Alexandrie, haut lieu de l’histoire copte, l’heure est au recueillement et à la prudence.
Les fidèles rentrent vite chez eux, car la rumeur annonce des échauffourées dans un quartier proche, mais aussi parce qu’ils veulent voir, sur la deuxième chaîne de la télévision d’Etat, le maigre visage de leur patriarche, Chenouda III, célébrant une messe en la cathédrale d’Abbassiya. L’événement ne se produit que deux fois l’an, à Noël et à Pâques.
Nous, les Coptes, dit une femme qui sort de l’office, représentons entre 7 % et 10 % de la population, mais nous sommes discriminés dans la vie quotidienne comme dans les médias. C’est grave parce qu’ainsi les musulmans ne nous connaissent pas.
Aucune des onze chaînes de télévision ou des vingt stations FM de l’Ertu (Egyptian Radio and Television Union), toutes contrôlées par le gouvernement, ne laisse de place aux Coptes, alors que les prédications des imams sont diffusées chaque jour sur les écrans, et les versets du livre sacré de l’islam livrés en continu sur Radio Coran. Ce traitement s’ajoute au manque cruel de liberté éditoriale. Il y a encore deux ans, l’Ertu était dirigée par un colonel. Un ingénieur a pris sa place. Le ministre de l’Information y a installé ses bureaux. L’un de ses hommes supervise toute l’info.
Chez nous, explique un journaliste d’une radio du gouvernement qui veut rester anonyme, comme tous nos interlocuteurs, les journalistes n’écrivent pas leurs textes. Ils lisent ceux rédigés par des fonctionnaires d’Etat et obéissent aux ordres. Comme ils n’ont pas reçu de consignes au moment de l’attentat de l’église copte, ils n’en ont pas parlé ou seulement pour dire “c’est lamentable, c’est affreux, il faut rester solidaire”. Sur nos ondes, il n’y a pas de débat, pas d’analyse, juste des messages de tolérance qui passent en boucle et répètent : “Depuis toujours, les Egyptiens sont frères et sœurs et vivent en parfaite harmonie.
Une de ses collègues de la télévision d’Etat s’insurge :
Une personne contrôle l’info de toutes les chaînes. Elle prend ses ordres auprès du ministre et nous dit : aujourd’hui on parle de ceci, demain, de cela. On nous demande le nom de nos invités et les questions qu’on va leur poser. On nous impose des directives et des messages. Concernant l’attentat d’Alexandrie, le message est : tout le monde condamne. En général, lorsqu’il y a des problèmes religieux, on nous demande de ne pas en parler. Les Egyptiens ont compris. Ils ne nous font plus confiance. Ils nous regardent pour les films et la musique. Pour le reste, ils se branchent sur Al Jazeera. Pour les faire revenir, notre direction investit des sommes colossales, dans les studios et des décors somptueux. Ça ne change rien, bien sûr. Les journalistes qui ont un peu le sens de l’honneur dépriment.
Devant cette désinformation organisée, les Egyptiens n’ont guère le choix, d’autant que les médias publics internationaux, comme RFI par exemple, et les stations privées religieuses, même musulmanes, sont interdits en hertzien. Du coup, ils s’équipent : 99 % de la population possèdent une antenne parabolique, 95 % Internet.
Ainsi, les Coptes ont trouvé leurs moyens de communication : des webradios basées à l’étranger et des télévisions par satellite installées dans les grandes villes égyptiennes. Elles sont tolérées dans la mesure où elles respectent un code de bonne conduite : les chaînes confessionnelles peuvent parler de leur religion, mais pas de celle d’autrui et surtout pas de politique. Enfin, elles ne sont pas autorisées à filmer hors de leurs studios et de leurs églises. Pour réaliser des reportages dans la rue, elles doivent demander une autorisation au bureau de la sécurité de l’Etat, situé au premier étage de l’Ertu. Et ça peut prendre des semaines. En novembre dernier, vingt télés satellitaires ont été interdites parce qu’elles ont critiqué le président Moubarak et l’Islam.
Animées par le seul message chrétien, les télés satellitaires coptes vivent de dons ou de la générosité de particuliers fortunés.
Au moment de l’attentat, nous avons fait du direct pour soutenir la foi des téléspectateurs, parler de l’événement du point de vue de l’Eglise. C’était l’occasion de montrer que Dieu peut soigner les blessures, raconte une journaliste d’une chaîne copte. On a diffusé des interviews d’artistes et de responsables religieux, toutes confessions confondues, mais aussi des reportages réalisés dans les églises et les hôpitaux. On a aussi organisé un concert avec des chants chrétiens qui parlent de l’Egypte. C’était la première fois que l’on sentait les musulmans compatir et sympathiser avec nous… En fait, le gouvernement égyptien ne nous donne pas plus de libertés parce qu’il a peur de la réaction des fondamentalistes.
Un confrère d’une autre télévision copte satellitaire ajoute :
Nous n’attendons pas que le gouvernement nous demande d’être modérés. Le 31 décembre, nos équipes étaient dans l’église des Saints d’Alexandrie. Nous avons diffusé toutes les images, les blessés, les morts. Ce sont les téléspectateurs qui nous ont suggéré de passer des reportages moins violents.
L’an dernier, cette chaîne a lancé des débats interreligieux avec les musulmans :
Ces derniers apprécient, ça marche bien. Petit à petit, les choses avancent. Personnellement, je suis optimiste, cet attentat va faire réfléchir. Dans quelques mois, il y aura davantage de place pour les Coptes dans les médias et les écoles. Déjà, le ministre de l’Enseignement a promis de changer tous les manuels d’histoire. Ceux utilisés actuellement ne parlent pas de nous, alors que nous sommes à l’origine de ce pays et que notre langue est issue de l’Egypte ancienne. De l’obscurantisme pourrait sortir une lumière…
Depuis l’attentat, dans l’église Kasr el-Doubara, les Coptes organisent chaque jour des soirées de consolation. Ils prient, chantent et pleurent. Certains parlent de leur peur, affirment que le terrorisme les frappera encore (dix jours après l’attentat, un policier musulman déclenchait une fusillade meurtrière dans un train contre des chrétiens). D’autres font preuve d’optimisme. Au bord des larmes, une femme d’une quarantaine d’années hésite et dit d’une voix brisée : « Pendant la messe de minuit, des centaines de musulmans, cierge allumé à la main, ont entouré quelques-unes de nos églises. »
A leur arrivée en Egypte, au VIIe siècle, les Arabes trouvent une importante population chrétienne, progressivement convertie à l’islam. Mais une partie des Coptes (mot formé sur le nom grec Aiguptios, « Egyptien ») conserveront leur religion et une connaissance de leur langue, issue de l’égyptien ancien. Aujourd’hui, une grande majorité est orthodoxe, mais il existe une minorité catholique. Entre 8 et 10 millions, soit environ 10 % de la population égyptienne, les Coptes forment la plus importante communauté de chrétiens d’Orient. Seuls 10 des 518 députés égyptiens sont coptes.
-
Article intialement paru le 24 janvier 2011, sur le site de Télérama n° 3184
-
Crédits images via Flickr : Sarah Carr [cc-by-nc-sa] ; Vanlyden [cc-by-nc-sa] ; Thomas Leplus [cc-by-nc-sa]