OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Wikipedia n’est pas mort, il a juste mûri http://owni.fr/2011/08/24/wikipedia-nest-pas-mort-il-a-juste-muri/ http://owni.fr/2011/08/24/wikipedia-nest-pas-mort-il-a-juste-muri/#comments Wed, 24 Aug 2011 14:06:39 +0000 Samuel (Authueil) http://owni.fr/?p=76803 Dans un intéressant article, Cédric Le Merrer se demande si Wikipédia n’est pas en train de se ringardiser et de couler. Selon lui, Wikipédia ne serait plus un projet “dans l’air du temps” du 2.0. La baisse du nombre de contributeurs, le caractère “obsolète” des outils techniques, seraient des signes d’une marginalisation progressive, qui pourrait, à terme, couper Wikipédia des internautes et faire disparaître son coté “collaboratif” qui fait sa force. Je suis d’un avis très différent. Radicalement différent même ! J’ai plutôt tendance à dire que Wikipédia arrive enfin à l’âge adulte, celui de la maturité.

Wikipedia est devenu plus exigeant

Même si une encyclopédie n’est jamais complète, il y a quand même beaucoup de choses sur Wikipédia, l’essentiel même. On en est maintenant aux détails. Sur le thème auquel je contribue, les anciens parlementaires, il reste encore du travail, mais l’ensemble des anciens ministres, même ceux qui ne le sont restés que 4 jours, ont leur fiche. Et ces fiches s’enrichissent continuellement. C’est justement dans ces détails que se trouve la véritable valeur ajoutée d’un projet comme Wikipédia, car on sait qu’aucun projet “professionnel”, c’est à dire mené par des salariés, n’ira aussi loin, pour des raisons bassement matérielles de coût marginal. Certes, c’est moins spectaculaire qu’au début, mais ce n’est pas moins utile.

Cédric Le Merrer déplore aussi que l’on arrive plus à attirer suffisamment de contributeurs. Et c’est là que je diverge radicalement avec lui. Entre quantité et qualité, je préfère très largement la qualité, et si tous les égos démesurés pouvaient se casser de Wikipédia, j’en serais extrêmement heureux (et je ne serais pas le seul). Oui, Wikipédia s’est “bureaucratisée”, ce qui présente des inconvénients, mais aussi des avantages. Le travail est plus sérieux, plus contrôlé, plus cadré. Certes, le “ticket d’entrée” est plus cher, il faut se former, entrer dans un moule, apprendre à se servir d’outils. Cela peut en décourager certains, et c’est tant mieux, car les purs amateurs, armés de leur seule bonne volonté, font plus de dégâts qu’autre chose.

Allier exigence de qualité et ouverture démocratique

C’est là qu’on arrive à cet éternel sujet du culte de l’amateur. Je pense qu’après quelques années de réseaux sociaux et autres bidules 2.0, on se rend bien compte que les amateurs n’apportent rien ou pas grand chose. Quand on voit les forums ouverts à tous, les fils de commentaires des sites de presse, c’est du n’importe quoi au niveau de la pensée construite et réfléchie. Le dialogue n’y existe pas, personne n’écoute l’autre et chacun assène ses opinions. On est très loin de la délibération démocratique. Dans ce magma informe, Wikipédia tranche complètement. C’est une organisation certes complexe, mais on a devant nous un modèle de fonctionnement démocratique, avec de véritables délibérations. Et en plus ça produit quelque chose, dans un esprit “non marchand”. A coté du vaste bavardage inutile produit par les réseaux sociaux, quel contraste !

Bien évidemment, Wikipédia doit faire attention, doit écouter les critiques et les remarques. Mais elle doit surtout préserver son mode de fonctionnement interne, authentiquement démocratique, son esprit non marchand, ainsi que les procédures qui assurent une qualité du produit. Il ne faut donc surtout pas céder au culte de l’amateur. Pour produire quelque chose de qualité, il faut des experts, et internet n’a strictement rien changé à cela. Wikipédia ne doit pas devenir un “social media” pour branleurs en quête de personnal branding. Il y a les réseaux sociaux pour ça.


Billet intialement publié sur Authueil sous le titre “Wikipedia n’est pas un réseau social

Illustrations: Flickr CC by-nd origini-kun / by-sa linus_art

Retrouvez tous nos articles sur Wikipedia

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Il faut sauver Wikipedia http://owni.fr/2011/08/24/il-faut-sauver-wikipedia/ http://owni.fr/2011/08/24/il-faut-sauver-wikipedia/#comments Wed, 24 Aug 2011 06:28:45 +0000 Cédric Le Merrer (Fluctuat.net) http://owni.fr/?p=76785 D’abord les chiffres : jusqu’à 90 000 en 2010, les contributeurs actifs n’étaient que 82 000 en juin dernier. Beaucoup sont persuadés que la chute du nombre de contributeurs n’est qu’un phénomène naturel : l’encyclopédie serait complète et surtout  Wikipedia reflètant les centres d’intérêt de son contributeur moyen, “un geek masculin de 26 ans” selon son fondateur Jimmy Wales, l’encyclopédie manque fatalement de points de vue féminins et non occidentaux.

Mais cette baisse somme toute assez limitée cache un phénomène plus alarmiste : Wikipedia ne correspond plus aux usages en vogue aujourd’hui sur le web, après avoir été pourtant le symbole le plus évident du web 2.0. Reposant sur des outils de programmation dynamique, facile à modifier sans savoir programmer, Wikipedia était avant tout ce qu’en font ses usagers. Que s’est-il passé ?

Symbole des mutations de l’époque, Wikipedia reflète aussi les aspirations libertaires de son fondateur. Jimmy Wales est un libertarien, un individualiste qui ne croit ni en la “société” ni en la légitimité d’aucun gouvernement. Le projet Wikipedia découle donc de cette idée que tout un chacun peut apporter ses connaissances. Un de ses mythes fondateurs sera celui de la mort de l’expert : tout le monde est un expert de sa propre expérience, nous sommes tous égaux devant la machine, il n’y a plus d’experts.  Wales est aussi un représentant de l’idéologie californienne, celle de Google et de la Silicon Valley, selon laquelle les ordinateurs permettraient d’organiser les interactions humaines pour le meilleur. Nous sommes tous égaux devant la machine.

Les nouveaux experts

Le problème, dans la pratique, c’est que la machine ne suffit pas à organiser toutes les contributions. Il a fallu instaurer des règles, des normes et des exceptions dont la liste ferait passer la Constitution européenne pour les règles du jeu de dames. Et même si les règles du jeu précisent bien que tous les contributeurs sont égaux qu’ils soient là depuis dix ans ou dix jours, les administrateurs sont les seuls à connaitre ces règles et leur pouvoir est fondé là dessus. Si vous pouvez toujours contester leurs décisions, il vous faudra faire l’effort d’en apprendre autant qu’eux et courir le risque de devenir comme eux.

Demandez à quiconque a tenté de contribuer en dilettante ces dernières années, et un problème typique d’internet émerge : la communauté bashe les noobs. Vous décidez de compléter la page Wikipedia de votre groupe punk préféré, et le lendemain toutes vos modifications sont annulées par un administrateur qui vous reproche d’avoir mis les noms propres en gras et les citations en italique. Tous ne sont pas comme ça, mais les témoignages de contributeurs découragés par une expérience semblable sont légion. Wikipedia n’a pas tué les experts, il en a créé de nouveaux, les experts de Wikipedia, et ils ne valent guère mieux. Le premier pas pour sauver Wikipedia serait de faire le ménage dans le règlement et dans les administrateurs, au risque de perdre encore plus de contributeurs dans un premier temps.

La conception nouvelle du web proposée par Wikipedia en 2001 est devenue la norme aujourd’hui : fournissez des outils, les internautes feront le travail. Un modèle qui fait sens pour Wikipedia, mais qui en fait encore plus pour des sites commerciaux qui font fortune sur ce travail gratuit. Proposer aux internautes de créer du contenu via des outils simples n’est plus l’exception mais la règle.

En 2001, modifier une page de Wikipedia en quatre ou cinq clics et en n’apprenant que quelques balises de mise en forme, c’était une révolution. Mais quand on est habitué aux commandes Ajax et au WISYWIG de sites plus récents, devoir passer par trois pages différentes pour apporter la moindre contribution à Wikipedia, c’est incroyablement fastidieux. Symbole du web 2.0, Wikipedia tombe en désuétude en même temps que le concept qu’il incarna le mieux – le terme web 2.0 lui même étant tombé en désuétude. On parle désormais de social media. D’un point de vue technologique, il y a peu de différence, mais à l’usage, il y en a une fondamentale : l’identité.

L’impossible personal branding des contributeurs

Le contributeur de Wikipedia ou l’utilisateur du moteur de recherche Google est un anonyme. On peut s’enregistrer sur Wikipedia, se choisir un pseudo, faire partie d’une communauté, mais au final les articles ne sont pas signés, puisqu’ils sont censés être l’oeuvre de la communauté plutôt que d’experts identifiés. Le web social, à l’opposé, repose entièrement sur les connexions entre des individus clairement identifiés, sur leur influence, sur leur égo, même. C’est pour ça qu’il est devenu l’outil préféré des experts de tout poil, ou du moins de ceux qui désirent être reconnus comme tels et pratiquer le personal branding.

Face à Wikipedia, il y a donc toute une armée de médias sociaux qui se battent pour notre attention et qui nous récompensent en flattant notre égo. Pourquoi contribuer anonymement (ou quasiment) à une encyclopédie ingrate quand on peut devenir “influent” sur Tumblr ou Twitter, qu’on peut s’imposer comme “storyteller” sur Pearltrees et Storify ou comme “curateur” sur Scoop.it et Paper.li ?

Pour se défendre, Wikipedia commence à adopter les armes de l’ennemi, principalement avec le bouton “Wikilove” qui permet de remercier un contributeur en lui envoyant une image, comme un like ou ou +1. Une mesure qui sent cependant le “trop peu, trop tard” face à tous les moyens développés par les social medias pour flatter nos égos. Il faudrait que Wikipedia en fasse beaucoup plus pour concurrencer les médias sociaux sur le terrain du personnal branding pour espérer les concurrencer, mais ça voudrait dire abandonner son idéal californien qui place la machine au coeur des interactions.

La guerre entre web 2.0 et social media fait rage, une guerre entre deux futurs, Terminator ou Big Brother, et ce dernier est en train de gagner. Si Wikipedia veut survivre, il faudra trouver une façon d’adapter son Terminator sans se transformer en Big Brother. Ca tombe bien, on avait envie d’aucun des deux.

Aujourd’hui, l’internaute moyen va utiliser la si respectable Wikipedia comme source principale de connaissance et ne prendra pas le temps de vérifier ce qu’il y lit. Si Wikipedia contredit ce qu’il sait, il changera plus probablement d’avis qu’il ne modifiera la page. Pour redevenir un site vibrant et excitant, Wikipedia pourrait mettre un coup de pied dans sa propre fourmilière en abandonnant le principe de “neutralité de point de vue” qui de toute façon est bien trop problématique.

Une des plus grandes richesses de Wikipedia, c’est l’accès qu’elle donne à travers les pages “discussions” aux débats internes constants sur sa construction. Plutôt que de les garder séparés du contenu, Wikipedia pourrait adopter un nouveau principe, celui de la “multiplicité des points de vue”, et rendre visible sur chaque page des versions différentes et plus colorées de ses articles. Au lecteur de faire le tri ensuite entre des points de vue exprimés avec conviction, plutôt qu’entre des versions émasculées par les disputes qui ont lieu derrière le rideau. Wikipedia pourrait vivre indéfiniment de l’animation apportée par ces disputes plutôt que de se scléroser dans une version molle de la réalité, et l’encyclopédie n’en serait que plus complète.


Crédits photo FlickR CC by-nc-sa leralle / by-nc-sa Ethan Hein / by-nc-sa Pete Prodoehl

Article initialement sur fluctuat.net sous le titre : “Comment sauver le soldat Wikipédia ?

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[infographie] La Galaxie Wikimedia http://owni.fr/2011/01/15/infographie-la-galaxie-wikimedia/ http://owni.fr/2011/01/15/infographie-la-galaxie-wikimedia/#comments Sat, 15 Jan 2011 16:47:35 +0000 Ophelia Noor http://owni.fr/?p=42408 Derrière la célèbre encyclopédie libre Wikipédia se cache une galaxie de projets portés par la fondation Wikimedia dont 31 associations locales ou  “chapitres” autonomes existent déjà en France, en Allemagne, en Argentine, à Hong-Kong et en Israël.

Si à l’instar du navigateur open source Firefox et de Mozilla, la création de Wikipédia en 2001 précède celle de sa fondation en juin 2003, la célèbre encyclopédie est la planète la plus brillante d’un écosystème de projets annexes et transversaux qui gravitent autour de la Wikimedia Foundation: Wikisource, Wikiquote, Wikispecies, soit une dizaine de projets sous licence libre gérés par leurs contributeurs, et que nous avons répertorié dans une infographie. Également, les projets de coordination et d’organisation de la communauté comme le “Wikimedia Strategic Planning” ou le  “Wikipedia Test Wiki”, un espace réservé aux développeurs du logiciel MediaWiki.

Cette infographie est sous la même licence Creative Commons by-sa que les projets Wikimedia: n’hésitez pas à la partager et à la modifier [PDF]. Et bon anniversaire!

MAJ 16/01/2011

MAJ 25/août/2011 31 associations locales en août 2011 contre 27 en janvier 2011

INFOGRAPHIE

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Retrouvez nos articles autour des 10 ans de Wikipédia:

Wikipédia a 10 ans, par Jean-Noël Laffargue

L’interview de Bastien Guerry, de Wikimédia France

MAJ : Voici une vidéoThe State of Wikipedia de l’agence JESS3 qui revient sur les origines de l’encyclopédie libre, son évolution et ses enjeux pour l’avenir, narrée par Jimmy Wales, son fondateur.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Infographie réalisée par Ophelia Noor avec Loguy au design /-)

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Wikipédia a 10 ans! http://owni.fr/2011/01/15/wikipedia-a-10-ans/ http://owni.fr/2011/01/15/wikipedia-a-10-ans/#comments Sat, 15 Jan 2011 10:34:41 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=42062 La version anglophone de l’encyclopédie contributive Wikipédia a vu le jour le lundi 15 janvier 2001. Wikipédia a été créée comme alternative à une autre encyclopédie en ligne fondé un an plus tôt par la même équipe — Jimmy Wales et Larry Sanger —, Nupédia, dont le processus de travail un peu trop strict n’a permis de faire aboutir que vingt-quatre articles en trois ans. Avec Nupédia, chaque article était confié à une équipe hiérarchisée, puis soumis à un crible scientifique sérieux, et n’était présenté au public qu’une fois fin prêt. Avec Wikipédia, au contraire, le processus de validation est postérieur à la publication des articles, articles dont la rédaction et les corrections sont ouvertes à qui veut s’en charger, sans avoir à montrer patte blanche.

Aujourd’hui, Nupédia a disparu et Wikipédia contient des millions d’articles répartis en deux-cent-soixante-sept versions linguistiques d’importance variable : 3,5 millions d’articles anglophones, 1 million d’articles germanophones et autant d’articles francophones, quelques dizaines d’articles seulement en langues des Îles Fidji, en tahitien ou en néo-mélanésien. On doit à ce sujet saluer une première réussite de Wikipédia qui est d’avoir fourni un ouvrage de référence à des langues parfois en voie de disparition et qui, pour certaines, n’avaient jamais eu d’encyclopédie ou de dictionnaire.

Wikipédia a fini par donner corps à l’Internet qu’imaginaient les scénaristes de séries télévisées au milieu des années 1990 : une sorte d’oracle auquel on pourrait poser toutes les questions. Tout cela vient même de plus loin, d’ailleurs. Je me rappelle des serveurs BBS des années 1980, sur lesquels étaient déposés des documents informatifs divers, qui ont ensuite été diffusés sur cd-rom. L’ambition de faire circuler le savoir a toujours été consubstantielle de l’informatique personnelle, il suffit de penser au projet Gutenberg (né en 1971) ou de l’ABU (1993), par exemple, dont les buts sont continués par plusieurs projets associés à Wikipédia : Commons (dépôt de médias, notamment d’images), Wikilivres (livres pédagogiques) et Wikisource (textes).

Dans le futur proche que raconte l'excellent film Rollerball (1975), la connaissance n'intéresse plus personne, elle est reléguée dans les mémoires d'un unique ordinateur, nommé Zéro. Malheureusement, comme personne ne vient jamais le voir, cet ordinateur (tout comme son gardien) est devenu dépressif et ne fournit plus que des réponses incohérentes aux questions qui lui sont posées.

Wikipédia, une institution

Cet anniversaire, dix ans dans quelques jours, est un bon moment pour faire le bilan de ce projet hors-normes. Un bilan provisoire, car l’histoire est loin d’être finie. Wikipédia, qui est parvenue à un rythme de croisière, semble appelée à rester une référence pendant des années, des décennies, peut-être bien plus longtemps encore. Et c’est là, d’ailleurs, que les problèmes commencent car Wikipédia est désormais une institution, ce qui fait que ses défauts et ses qualités ont une très grande portée .

Comme beaucoup l’ont remarqué, parfois avec aigreur, Wikipédia arrive presque invariablement en tête des requêtes effectuées avec Google, gagnant de fait un statut de source quasi-officielle sur de nombreux sujets. N’ayant pas toujours une grande conscience de son mode de fonctionnement, certains utilisent sans précautions des articles de Wikipédia comme source pour des exposés scolaires ou des mémoires de Master.

Le caractère de source « officielle » est renforcé par le style littéraire qui a cours sur l’encyclopédie, style qui se veut distancié, neutre, universel, un ton de vérité révélée. Un ton impersonnel, assez insupportable, dans un certain sens. Il ne suffit pas de parler comme un dictionnaire pour pouvoir prétendre tout savoir, et une parole sans auteur identifiable peut sembler, de prime abord, un peu lâche, car une affirmation a forcément un émetteur et reflète un point de vue. Ce type de littérature cache parfois la partialité des propos exprimés ou les préjugés qui les sous-tendent — partialité et préjugés dont les émetteurs ne sont pas forcément conscients.

Les deux créateurs de Wikipédia : l'entrepreneur Jimmy Wales (gauche) et le philosophe Larry Sanger (droite).

Le problème est pourtant réglé en amont par un des principes fondateurs de Wikipédia, la neutralité de point de vue, qui stipule que Wikipédia ne doit pas être un lieu de révélation du savoir, mais plus modestement, un lieu d’exposition et de compilation de sources « notables ». Sur Wikipédia, on n’écrit pas « dieu existe » ou « dieu n’existe pas » mais « selon Diderot… selon Saint-Augustin… selon Richard Dawkins… selon Pascal… selon Nietszche… selon Jean-Paul II… », etc.

L’article idéal sur ce type de sujet polémique et nécessairement impossible à trancher fournira les éléments de la dispute, les principaux arguments avancés ainsi que les titres d’essais consacrés à la question qui ont eu une influence sur l’opinion.

Certains sujets ne posent pas tant de problèmes, par exemple les dates de naissance de personnages historiques récents ou les définitions admises par la totalité de la communauté scientifique spécialisée. En contribuant à Wikipédia, on découvre cependant que le nombre de sujets polémiques est bien plus important qu’il n’y paraît : comment doit-on nommer une endive ? Comment est mort Émile Zola ? Voltaire était-il un saint ou un hypocrite ? Ne parlons pas des sujets sensibles : religion, politique, écologie, etc.

D’ailleurs, lorsque le consensus se fait, n’est-ce pas juste le signe inquiétant que le sujet de l’article est particulièrement irréfléchi, impensé ?

Voir Wikipédia en train de se construire pose des questions de salubrité publique : comment se font les autres encyclopédies ? Quel type d’informations sélectionnées, de propagande ou de désinformation contiennent-elles ? Ici, au moins, nous pouvons savoir dans quelles conditions le corpus encyclopédique se constitue, alors que dans le cas d’une encyclopédie plus traditionnelle, nous ignorons tous les a-côtés d’un article. Nous connaissons son auteur mais, à moins d’être précisément spécialistes du sujet traité nous ne pouvons pas lire entre les lignes, nous ne pouvons pas deviner ce qui a motivé le choix de l’auteur, quelle école, quel courant d’idée il défend, quel rival académique il néglige de mentionner, etc.

Malgré la vigilance des contributeurs réguliers de Wikipédia — généralement bien intentionnés et soucieux d’élever le niveau de qualité de l’édifice — il n’est pas rare que des personnes aux motivations douteuses y contribuent pour de très mauvaises raisons : prosélytisme religieux, désinformation politique, publicité… On sait que de nombreuses sociétés commerciales surveillent de très près les articles qui sont consacrés à leurs marques et à leurs produits, il y a même des exemples scandaleux de propagande de la part, notamment, de grands groupes agro-alimentaires ou de laboratoires pharmaceutiques , qui n’ont pas hésité (et continuent sans aucun doute de le faire) à se servir de ce support apparemment impartial et extérieur pour servir leurs intérêts commerciaux ou peaufiner leur image publique. Des sectes, des personnalités politiques ou même des pays se servent aussi de Wikipédia pour les besoins de leur communication. Lorsqu’ils sont habiles, ça passe.

Au delà de la propagande, il n’est pas rare que des contributeurs de Wikipédia, y compris parmi les plus sérieux, se laissent aller à utiliser l’encyclopédie pour faire coïncider ses articles à leurs propres opinions, à leur réalité, comme s’il suffisait qu’une chose soit écrite publiquement pour qu’elle devienne, par miracle, une vérité. On a pu constater un tel phénomène de manière comique pendant le débat qui a opposé Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal le 2 mai 2007 : tandis que les deux candidats à l’élection présidentielle s’écharpaient pour savoir si le réacteur EPR était de 3e ou de 4e génération — détail sans intérêt pour qui ignore ce qui peut distinguer un réacteur nucléaire d’un autre —, des partisans de l’un et l’autre modifiaient Wikipédia pour rendre l’encyclopédie — entendre la vérité — compatible avec ce qu’ils auraient voulu qu’elle soit.

Je trouve ça passionnant et très éclairant, finalement, quand au statut que peut avoir la vérité chez chacun d’entre nous : on dit que l’on croit ce que l’on voit, mais souvent, on voit ce que l’on croit, la foi (religieuse, politique, ou autre) a sans doute moins de rapport avec l’expérience qu’avec l’envie de rendre les choses vraies, d’avoir le pouvoir de créer sa réalité. Croire, c’est peut-être d’abord tenter d’avoir de l’autorité sur les faits, car si on ne peut pas souvent transformer véritablement le monde, on peut ajuster sa perception et celle d’autrui à ses désirs. Et ce n’est pas spécifique à Wikipédia, c’est ce que font souvent les journalistes, à mon avis, ils racontent le monde tels qu’ils l’imaginent, et ce qu’ils disent devient vrai, parce que c’est dans le journal.

Convaincre les autres que le monde est ce que l'on voudrait qu'il soit, jusqu'à s'abuser soi-même ? Terry Gilliam, "Les aventures du baron de Munchausen" (1989).

Cette envie de créer le monde à l’image de ses croyances ou de ses préoccupations n’est d’ailleurs pas forcément illégitime ou stérile. En listant chaque créature Pokémon, chaque jeu vidéo, chaque disque rock, chaque courant musical improbable, chaque fait de la culture populaire, Wikipédia compile en un unique ouvrage un savoir totalement inédit sous cette forme et qui échappe aux confrontations et aux comparaisons en n’existant que dans les micro-sociétés où il a une importance.

Ce savoir, puisqu’il est le fruit de l’envie de transmettre des contributeurs, est tributaire des goûts de ces derniers. Il suffit qu’une personne passionnée d’un sujet y consacre son énergie pour que des sujets analogues semblent pauvrement traités. Sur une autre encyclopédie, un article consacré à une petite ville des Pyrénées n’a pas le droit d’être aussi important que celui qui traite d’une préfecture de la région parisienne. N’est-il pas sain qu’il existe un endroit où ce genre de hiérarchie puisse ne pas être infailliblement respectée ?  Où l’on puisse, en tout cas, débattre de leur pertinence ?

Wikipédia est de toute manière loin de dispenser un savoir véritablement original, fantaisiste, incongru, jamais-vu, car du fait même de son mode de fonctionnement, c’est, lorsque ses principes sont respectés, l’encyclopédie de la doxa, du savoir banal, admis, rebattu. J’en connais beaucoup que cela déçoit et qui critiquent le caractère sage et un peu conventionnel de ce support, qui se demandent si ce n’est pas faire un mauvais usage de sa liberté que d’imiter les gestes de ceux qui sont contraints à des formes ou à un ton précis, un peu comme on peut critiquer les blogueurs qui emploient le langage journalistique ou les vidéastes amateurs qui recourent aux tics hollywoodiens, alors même que les journalistes de la presse ou les réalisateurs hollywoodiens aimeraient parfois échapper aux lois commerciales qui leur imposent certains compromis littéraires, artistiques ou moraux . Wikipédia n’est pas non plus un lieu de recherche, un séminaire permanent, une académie. Wikipédia ne crée pas de la connaissance mais se contente d’en diffuser.

Ceux qui critiquent la sagesse de Wikipédia ou la modestie de ses ambitions peuvent bien monter leurs propres encyclopédies, après tout ! Les ouvrages ne s’annulent pas, ils s’additionnent, et si Wikipédia s’est imposée dans son domaine, ça ne signifie pas qu’il soit impossible de proposer autre chose.

L'assemblée générale de l'association Wikimedia France, en 2008. Sans autorité sur le contenu de l'Encyclopédie et distincte de la fondation mère, l'association française effectue un travail à mon avis remarquable de soutien aux différents projets de la fondation Wikimédia mais aussi aux valeurs qui les sous-tendent, notamment en faisant la promotion de la "liberation" des documents appartenant à des collections publiques.

Le pire et le meilleur de Wikipédia, je les ai trouvés pour ma part dans l’arrière-boutique de l’encyclopédie en ligne, c’est à dire du côté de ceux qui y contribuent. J’ai commencé à y participer en 2004 et je me suis aussitôt passionné pour cette cathédrale de savoir . J’y ai effectué des milliers d’éditions (des modifications, pouvant aller de l’ajout d’une virgule ou d’un accent à la création d’articles complets), réalisé des illustrations ou publié des photographies. Je suis aussi devenu un des administrateurs de Wikipédia, et je le suis resté quatre ans, avant de démissionner par manque de temps. Administrateur de Wikipédia n’est pas un titre honorifique (quoique cela valide une grande implication dans l’Encyclopédie) ni un mandat conférant une forme d’autorité ou de supériorité sur les autres contributeurs (mais tous, y compris parmi les admins, ne le comprend pas bien). C’est une charge assez technique, qui consiste, sur injonction de la communauté, à effectuer des opérations de maintenance (suppression d’articles) ou de maintien de l’ordre (éviction de vandales).

Paris 8, pendant la saison des assemblages de chaises : ce n'est pas une barricade pour défendre l'université mais une barrière pour empêcher les étudiants d'entrer. Le message n'est pas clair pour tout le monde, mais au moins le mobilier prend l'air, ça ne peut pas faire de mal.

Wikipédia à l’école

À l’Université Paris 8, j’ai monté un atelier qui a consisté à pousser les étudiants à contribuer à Wikipédia. Le but était double : d’une part il s’agissait pour les étudiants d’apprendre le fonctionnement de Wikipédia et de comprendre les limites de la confiance que l’on pouvait porter à cette source comme à d’autres. D’autre part, j’avais constaté en me prenant comme cobaye quel degré de rigueur le « moule » Wikipédien impose à ceux qui veulent y participer : savoir se documenter, croiser ses sources, apprendre à faire la part entre faits et opinions, écrire de manière claire et pédagogique… Bien sûr, le manque d’articles consacrés à mes sujets (art contemporain, et notamment arts numériques) sur Wikipédia constituait une bonne raison et un bon prétexte à organiser ce cours. En tant que projet, l’Atelier Encyclopédique a connu un certain succès, m’a valu quelques interviews (RFI, Philosophie Mag, Libé,…) et a été imité par plusieurs universités dans le monde. Dans la réalisation, le résultat a été un peu moins intéressant : beaucoup d’étudiants ne se sont pas franchement intéressés aux enjeux, ont été surpris d’être mal notés après avoir collé sur Wikipédia des paragraphes entiers « empruntés » sur d’autres sites web, et les contributeurs réguliers de Wikipédia ont, souvent, agi de manière tout à fait différente de leurs habitudes, en s’en remettant à moi pour ce qui était de corriger ou de réprimander mes étudiants plutôt que de s’en charger eux-mêmes.

Je ne considère pas l’expérience comme un échec, mais après cinq années, je l’ai interrompue, d’autant que le monde (enfin le web) avait bien changé entre temps : Wikipédia commençait à disposer d’un corpus conséquent et le public a quand à lui une idée plus claire de son fonctionnement : la première année, tout semblait nouveau pour les étudiants — qui n’avaient même pas tous entendu parler de Wikipédia — alors que la dernière année de l’atelier, j’avais l’impression de leur parler d’un vieux truc, comme un prof de musique qui tiendrait absolument à faire chanter des collégiens sur les chansons de sa propre jeunesse.

En 2005, on me disait : « et si ça devient une société privée ? », « et si le site s’arrêtait un jour ? » ou « est-ce qu’on sait vraiment qui est derrière tout ça ? ». Ces questions, je pense, ne sont plus posées par personne.

Un des moments embarrassants de ma vie : devoir faire l'idiot sur le Pont des arts (haut à droite) par une température inférieure à zéro et avec un globe terrestre dans la main, parce que le photographe un peu fou de Philosophie Mag avait décidé que ça serait pertinent. Une fois dans le journal ça passe presque, enfin ça nous donne quand même l'air bien bêtes.

Wikipédia, une communauté oligarchique ?

L’aspect parfois déplaisant de Wikipédia naît de ce que cette encyclopédie est aussi un réseau social, ou plutôt une communauté, chose positive en soi, mais qui conduit naturellement à la constitution d’une sorte d’oligarchie des contributeurs récurrents — pas nécessairement administrateurs, car si tous les administrateurs sont ou ont été des contributeurs très réguliers, tous les contributeurs réguliers ne sont pas administrateurs, loin de là. Et ces contributeurs récurrents ont parfois une petite tendance à considérer que Wikipédia est leur chose, leur domaine, ce qui les pousse à rejeter parfois méchamment les nouveaux contributeurs. Je constate ça régulièrement lorsque, par simple paresse de saisir mon mot de passe, je modifie un article sans prendre la peine de m’identifier. D’un seul coup, mes ajouts se voient supprimés avec des commentaires méprisants et soupçonneux tels que « à l’avenir, citez vos sources », y compris lorsque l’inspecteur des travaux finis auteur de la suppression aurait pu vérifier l’exactitude des affirmations en trois clics. S’il est normal que les contributeurs non identifiés soient surveillés plus que d’autres (c’est souvent par eux qu’arrivent les vandalismes les plus grossiers), il n’est pas pour autant admissible de se comporter avec mépris avec eux ou de se prendre pour un chien de garde du temple de la connaissance.

De nombreuses personnes au départ pleines de bonnes intentions se sont enfuies de Wikipédia parce qu’on les y a maltraitées ou que l’on a sanctionné leurs erreurs de débutants de manière impatiente, hautaine ou agressive.

"L'ange bleu" (1930). Le très sérieux professeur Immanuel Rath est sans cesse raillé par ses élèves qui ne sont pas dupes de son autorité...

Lorsque je m’identifie dûment pour contribuer, je ne rencontre pas ce genre de problèmes : les veilleurs les plus acharnés, qui parfois ne contribuent pas du tout aux articles et se contentent de se donner une mission disciplinaire (il en faut, j’imagine), ne surveillent pas énormément les éditions d’auteurs identifiables et encore moins celles de contributeurs de longue date. Malgré les statuts mêmes de Wikipédia, malgré les recommandations que la communauté s’adresse à elle-même en la matière, il existe bien plusieurs classes de contributeurs, tous égaux, mais certains plus égaux que d’autres. Ces catégories sont heureusement mouvantes : on peut finir par se faire une place, sans aucun doute, en tenant bon, en supportant les premiers contacts à la limite du bizutage, mais il peut y avoir de quoi se sentir rebuté et, me semble-t-il, cela empire avec l’augmentation du nombre de contributeurs.

Ainsi, en refusant la hiérarchie académique qui a cours dans le monde intellectuel, Wikipédia tend naturellement à forger une autre forme de hiérarchie… Je suppose que c’est la pente naturelle de toute organisation.

Imaginez en tout cas ce qui arrive lorsqu’un professeur d’université qui a passé sa carrière à étudier un sujet vient modifier un paragraphe de l’encyclopédie qui s’y rapporte et voit sa contribution censurée avec un commentaire laconique tel que « citez vos sources SVP » ou « Wikipédia n’est pas une poubelle, merci » (ce « merci » qui est presque un gros-mot), commentaire émis par un « morveux » qui connaît tout à Wikipédia et à ses rouages mais strictement rien au sujet de l’article sur lequel il intervient…

... son prestige académique n'empêche pas Rath de tomber amoureux de la danseuse légère Lola Lola qu'il épouse, à cause de qui il perdra son poste et qui fera de lui un clown de sa revue.

Le « morveux » peut avoir raison d’ailleurs. Je me souviens d’un historien célèbre dans son domaine qui était vexé que ses ajouts soient supprimés, mais dont la contribution était limitée à mentionner ses propres livres dans tous les articles qui se rapportaient de près ou de loin et parfois même de très loin à ses sujets d’étude : si prestigieux que soit son auteur, cette retape n’avait rien à faire là. Ne parlons pas des gens qui tiennent à maîtriser totalement le contenu des articles qui leur sont consacrés et qui sont sans doute le personnes les plus mal placées du monde pour le faire. Reste que s’il ne suffit pas d’être le spécialiste mondial d’un sujet pour prétendre pouvoir apporter quelque chose à Wikipédia, se voir malmener de cette manière provoque (plusieurs m’ont témoigné ce sentiment) l’impression d’un intellectuel de haut niveau victime du fascisme italien, de la révolution culturelle maoïste ou de la révolution islamiste iranienne, régimes où du jour au lendemain, les gens les plus incompétents, les plus frustes, ont obtenu une autorité, puis un droit de vie ou de mort, sur ceux qui leur étaient précédemment supérieurs de par leur éducation, leur naissance ou leur position sociale. Le parallèle ne saurait être poussé trop loin cependant, puisque les wikipédistes n’agissent pas sur tous les aspects de la vie d’autrui, leur empire est limité à un site Internet. Un site très populaire et très visité, mais un site et rien d’autre. Et puis chaque action est enregistrée, traçable, il est toujours possible de contester la décision d’un wikipédien.

"Vivre!" (1994), de Zhang Yimou. Pendant la révolution culturelle, les médecins, comme d'autres intellectuels, sont envoyés en camps de rééducation car ils sont des ennemis du peuple, des représentants de l'ordre académique réactionnaire. Ici, le médecin hébété et affamé ne pourra sauver la jeune Fengxia dont l'accouchement se passe mal et qui est soignée par des élèves et des infirmières, qui dirigent à présent l'hôpital.

Malgré tout le mal que je peux en dire, je considère que Wikipédia reste une extraordinaire réussite. Évidemment, on entendra toujours les défenseurs de l’internet « civilisé » se plaindre, car la liberté de faire et de dire, la prise en mains par le nombre de son propre destin et même de sa manière de s’informer et d’apprendre sont bien les choses qui inspirent le plus de méfiance. On trouvera toujours les gens qui disposent d’un pouvoir politique ou d’une autorité académique prêts à s’émouvoir du trop-plein de liberté de ceux qui leur semblent moins valeureux. Ceux-là préféreront la censure au désordre, n’admettront jamais la valeur pédagogique de l’erreur (jusqu’à refuser toujours de voir les leurs) ou de la mise en danger du savoir établi, et au fond, ne croient pas, n’ont jamais cru, que l’on pouvait apprendre et comprendre. Ils ne croient pas à l’éducation mais au dressage. C’est triste, mais même la démocratie passe son temps à porter au pouvoir des gens qui ont une peur panique de la liberté du peuple.

Le fait que Wikipédia reste inaccessible dans de nombreux pays totalitaires ou autoritaires doit être vu, pour ces raisons, comme un très bel hommage .

Le dîner des philosophes - Jean Huber

Umberto Eco expliquait qu’il était bien content de l’existence de Wikipédia car son arthrose l’empêche de se lever constamment pour vérifier une date de naissance ou un fait dans sa lourde encyclopédie Trecanni. Pour lui, peu importe que Wikipédia comporte des erreurs, le chercheur se devant de toute façon de multiplier et de croiser ses sources, ce qui fait de Wikipédia une porte d’entrée pour la connaissance parmi d’autres. Le fait que le contenu de Wikipédia soit actualisé en permanence est aussi une donnée précieuse.

Et pour ceux qui ne sont pas chercheurs ? Dans certains domaines, la qualité pédagogique de Wikipédia n’est pas contestée : on peut apprendre, et plutôt bien, de nombreuses notions mathématiques, comprendre des technologies, apprendre divers faits en biologie ou en zoologie… Les sciences dites « dures », qui savent régulièrement arrêter des consensus sur certains sujets, sont plutôt bien traitées, mais l’intérêt de Wikipédia ne s’y limite pas.

Aujourd’hui, un collégien qui réside dans une de ces cités de banlieue où, selon le journal télévisé de la première chaîne, « la police n’ose plus entrer », peut trouver les informations pour son exposé sur Victor Hugo aussi bien qu’un habitant des « beaux quartiers », car si ses parents n’ont pas investi dans une encyclopédie en vingt-cinq tomes, il accède malgré tout à Wikipédia grâce à son ordinateur ou à son téléphone portable. Ça ne règle pas tous les problèmes, mais ça en règle au moins un.
Et ceux qui font la moue en disant que, tout de même, il peut y avoir des erreurs dans une encyclopédie de ce genre, devraient s’interroger sur ce qu’ils défendent véritablement.

Pour finir, un extrait de l’article Encyclopédie, par Denis Diderot pour l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers :

[..] il y a des têtes étroites, des âmes mal nées, indifférentes sur le sort du genre humain, & tellement concentrées dans leur petite société, qu’elles ne voyent rien au-delà de son intérêt. Ces hommes veulent qu’on les appelle bons citoyens ; & j’y consens, pourvû qu’ils me permettent de les appeller méchans hommes. On diroit, à les entendre, qu’une Encyclopédie bien faite, qu’une histoire générale des Arts ne devroit être qu’un grand manuscrit soigneusement renfermé dans la bibliothèque du monarque, & inaccessible à d’autres yeux que les siens ; un livre de l’Etat, & non du peuple. A quoi bon divulguer les connoissances de la nation, ses transactions secrètes, ses inventions, son industrie, ses ressources, ses mystères, sa lumiere, ses arts & toute sa sagesse ! ne sont-ce pas là les choses auxquelles elle doit une partie de sa supériorité sur les nations rivales & circonvoisines ? Voilà ce qu’ils disent ; & voici ce qu’ils pourroient encore ajoûter. Ne seroit-il pas à souhaiter qu’au lieu d’éclairer l’étranger, nous pussions répandre sur lui des ténèbres, & plonger dans la barbarie le reste de la terre, afin de le dominer plus sûrement ? Ils ne font pas attention qu’ils n’occupent qu’un point sur ce globe, & qu’ils n’y dureront qu’un moment ; que c’est à ce point & à cet instant qu’ils sacrifient le bonheur des siècles à venir & de l’espèce entière.

Tout bien pesé, je souhaite longue vie à Wikipédia et à tous les projets de ce genre qui naîtront à l’avenir.

Retrouvez nos articles autour des 10 ans de Wikipédia:

Wikipédia a 10 ans, par Jean-Noël Laffargue

Notre infographie: la Galaxie Wikimédia (par Loguy) [PDF]

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Article initialement publié sur Le dernier blog

>> photos flickr CC Gimi Wu

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Le déclin de Wikipedia ? http://owni.fr/2010/03/23/le-declin-de-wikipedia/ http://owni.fr/2010/03/23/le-declin-de-wikipedia/#comments Tue, 23 Mar 2010 17:15:37 +0000 J-S. Beuscart http://owni.fr/?p=10701 Les frenchies du South By SouthWest continuent leur exploration des arcanes du festival texan. Cet article s’interroge sur la pérennité du modèle de Wikipedia et analyse les raisons du déclin du nombre des contributeurs de l’encyclopédie en ligne.

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Titre original : Wikipedia peut-il survivre au déclin du nombre de ses contributeurs

Wikipedia est l’exemple paradigmatique de l’efficacité de la coopération décentralisée, ou de la « sagesse des foules ». Sa dynamique collaborative a produit en quelques années une encyclopédie très complète, à la fois riche et pertinente. Andrew Lih, professeur de journalisme à Berkeley et auteur de The Wikipedia Revolution, explique qu’il avait l’habitude de commencer ses conférences sur le sujet en créant une erreur volontaire sur une page ; à la fin de la conférence, l’erreur était corrigée – et la démonstration de l’efficacité du système était faite.

Mais depuis quelques temps, ce petit trick ne marche plus à tous les coups. Plus généralement, la communauté a constaté une diminution de la participation : le nombre de contributions est en baisse depuis fin 2007, et l’encyclopédie aurait perdu jusqu’à 50 000 éditeurs durant l’année 2009. Dans sa présentation, Andrew Lih s’est proposé d’expliquer ce déclin, et de deviner s’il menace réellement le futur de Wikipedia. Le propos était extrêmement riche et précis, on peut tenter de le résumer en deux grands arguments.

Tout d’abord, contribuer à Wikipedia est devenu de plus en plus compliqué, techniquement et socialement. Dans les premiers temps glorieux, il n’y avait que trois règles : NPOV (neutralité du point de vue), AGF (assume good faith), IAR (ignore all rules – just write).

Au fur et a mesure de la croissance, de nombreuses nouvelles règles sont venues organiser la coopération (Andrew Lih en identifie 4 générations), si bien que débattre lors de conflits d’édition est devenu aussi compliqué que construire un argumentaire juridique.

Parallèlement, la communauté est devenue moins ouverte : pour devenir administrateur, vous devez passer un certain nombre de questionnaires et de tests ; et les pratiques de deletionism (la suppression rapide d’articles jugés en dessous d’un certain standard) ont tendance à refroidir les bonnes volontés. Enfin, la complexité technique de l’édition s’est accrue, pour ressembler de plus en plus à du code, et de moins en moins à de l’écriture.

Andrew Lih a diffusé quelques films issus de recherches d’utilisabilité, montrant des utilisateurs ordinaires à qui on demande de faire une modification simple, et qui s’en avèrent incapables. La communauté Wikipedia est consciente de ce problème, et a essayé de simplifier la syntaxe, sans succès. Certains outils WISWYG, comme wikia, vont également dans ce sens.

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D’un autre côté, ce déclin des contributions provient sans doute aussi du fait qu’il y a tout simplement moins de choses à écrire. Si l’on considère, un peu schématiquement, le savoir humain comme un stock qui croît régulièrement, on peut considérer les premiers temps du développement de Wikipédia comme un temps de rattrapage, qui nécessite un très grand nombre de contributions et de contributeurs. Une fois que le stock a été constitué, il est normal que le rythme se ralentisse, pour épouser le rythme de croissance du savoir humain.

En combinant ces deux explications, le chercheur a dessiné deux grands scénarios d’évolution de Wikipédia. Soit celui d’un déclin en qualité, ou d’une vulnérabilité plus grande au spam, du fait d’un nombre insuffisant de gardiens et de correcteurs ; soit celui de la constitution d’une élite de contributeurs-réviseurs, relativement fermée, qui se traduirait à la fois par une augmentation de la qualité et une diminution de la réactivité.
Wait and see…

> Article initialement publié sur French XSW

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