OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les vrais prédateurs sexuels http://owni.fr/2011/11/29/itw-les-vrais-predateurs-sexuels/ http://owni.fr/2011/11/29/itw-les-vrais-predateurs-sexuels/#comments Tue, 29 Nov 2011 18:13:29 +0000 Claire Berthelemy http://owni.fr/?p=88310 Jean-Pierre Rosenczveig est président du Tribunal pour enfants de Bobigny. Auteur de nombreux ouvrages sur les droits de l’enfant et blogueur, il revient sur la définition des prédateurs sexuels – tels que définis par les associations de lutte contre la pédophilie sur Internet – et les modifications qu’Internet a apporté au cours de ces dernières années.

Comment définir la pédophilie ?

Je revendique une formule qui exprime tout pour moi : les enfants ont droit à l’amour mais pas à ce qu’on leur fasse. On a le droit d’avoir de l’affection pour un gamin ou une gamine mais il y a des limites posées non seulement par la morale et l’éthique personnelle mais surtout par le code pénal. Ce dernier pose une série d’interdits notamment en ce qui concerne les relations entre enfant et adulte et qui sanctionne les faits. Les circonstances sont aggravées lorsque la victime est très jeune et lorsque l’auteur est en position d’autorité sur l’enfant.

La pédophilie est à la fois un fait criminel et un fait sociologique. Au cours de certaines périodes de l’histoire ou dans certaines cultures, le fait n’existerait pas, ce qui est largement contesté. Mais globalement, le sens de l’histoire est d’admettre qu’il puisse y avoir des relations sexuelles entre individus pour des raisons non reproductibles et pour des raisons de plaisir. Pour autant ces relations sexuelles sont effectivement à considérer avec des interdits : ceux de protection pour éviter que certains n’abusent de leur force à l’égard d’autres plus faibles. Dans la pédophilie c’est le plus fort contre plus faible que lui. Certains plus fragiles ne pouvant pas manifester leur opposition. Après jurisprudence, le législateur est venu reconnaître cette position de faiblesse ou de déséquilibre entre deux êtres humains : enfant/adulte.

La définition même de l’enfant évolue aussi ?

Au sens général du terme, l’enfant est une personne de moins de 18 ans et l’enfant de moins de quinze ans est plus spécialement protégé. Mais d’une manière générale, ce concept d’enfant est en train de s’estomper au profit d’une approche plus globale de la personne vulnérable. L’âge et la vulnérabilité ne se cumulent pas sur le plan juridique mais ces critères vont entrer en ligne de compte. Le fait d’être un enfant de moins de quinze ans pose déjà une présomption de faiblesse. De façon purement subjective, dans la période historique que nous sommes en train de vivre, je pense qu’avec le degré de civilisation qu’est le notre, nous prenons plus en compte le respect de l’autre, en particulier de l’enfant. Nous sommes dans une période où il y a moins de maltraitance physique. Ce qui n’a plus rien à voir avec le 17ème siècle en Europe. La vie ne vaut plus la même chose.

Dans ces affaires-là, il n’y a pas d’équilibre de discernement entre ce qui est bien et ce qui est mal de la part de l’adulte ? Comment se définissent-ils ?

Il y a effectivement un certains nombre de personnes qui sont portées vers des enfants dans leurs relations affectives et sexuelles et qu’ils peuvent plus ou moins entretenir. Mais la relation amoureuse et plus la relation sexuelle doit être consentie des deux côté. Or pour qu’elle soit consentie, il faut qu’elle soit équilibrée. Ce qui n’est pas le cas entre un homme de 35 ans et une jeune fille de 14 ou 15 ans. Et même s’il n’y a pas de lien familial ou d’autorité, les histoires sont différentes, la structuration et l’expérience de la vie aussi. La jeune fille de 14 ans découvre la sexualité alors que l’adulte non. Il n’y a plus de négociation à avoir avec une jeune fille qu’on peut embobiner à travers le père qu’elle recherche, une personne qui projetterait une image, ou qui aurait du pouvoir. Celui qui tient ce discours a de l’autorité sur elle. Une jeune fille ou un enfant, ne peut pas imaginer que l’adulte qui vient vers lui soit quelqu’un qui lui veuille du mal. Dans une relation normale, personne ne cherche à faire du mal à l’un ou à l’autre. Dans la relation pédophile, l’adulte pour se dédouaner va soutenir, et ce sera toujours son “mot”, qu’il a été séduit par l’enfant. En d’autres termes, il va reprocher à l’enfant d’avoir développé un art de la séduction et dans son esprit il y a bien une victime et un coupable. Sauf qu’il va essayer de se défausser de sa responsabilité de coupable en se désignant comme victime.

“l’adulte lui est présenté comme étant quelqu’un qui n’est pas dangereux”

Il va toujours prendre un temps pour la séduction, sinon c’est une agression “simple” ou un viol. Je ne connais pas un pédophile qui n’ait pas fait de travail d’approche, sous forme de séduction, pour faire tomber les quelques résistances qui pourraient exister et surtout pour faire fonctionner le dispositifs d’appétence. Mais un pédophile inscrit son comportement dans la relation, dans le temps. Et Internet ou pas, il va utiliser des subterfuges. Petit à petit en levant son masque il aura créé un tel climat de confiance que la jeune personne en face de lui, même si le masque est tombé ne tirera rien d’autre de son aveu que le constat qu’il est vieux et pas elle.

C’est la plus grande différence : la présence de protection et le respect de l’un et de l’autre. On est limité par soi même et par les limites de l’autre, les barrières existent. Mais dans la relation entre un enfant et un adulte, le réseau de protection n’existe pas, l’enfant peut trouver que la situation est naturelle et d’autant plus quand l’adulte lui est présenté comme étant quelqu’un qui n’est pas dangereux et qui ne va pas lui faire de mal. Le pédophile arrive avec des chocolats !

Pourquoi les statistiques sur le sujet ne sont pas forcément fiables et quasi-absentes concernant les agressions suite à de mauvaises rencontres sur Internet ?

Au niveau des statistiques, Sébastian Roché, chercheur en sociologie à Grenoble, démontre qu’on ne connaît qu’un fait de délinquance sur cinq. Un fait est connu quand quatre autres se sont déroulés, à l’image du premier. Dans certains domaines, le taux de non connaissance est plus faible qu’ailleurs. En imaginant celui sur les violences et les abus sur enfants, on les repère plus facilement que les infractions fiscales ou les détournements. Les victimes sont des victimes physiques et autour des enfants il y a tout un système de dépistage, qui doit permettre de réduire au minimum le taux de non visibilité. Aujourd’hui on a réussi à libérer la parole. Mais a-t-on plus de chances de voir un enfant dire qu’il a été victime de violences sexuelles ou que par delà sa parole, on va réussir à le démontrer à travers son comportement ses écrits ou son silence ? Je vois souvent le terme d’“ambiance pédophile” dans des rapports sur une famille. Il y a une ambiance pédophile, des choses qui relèvent de la pédophilie mais il n’y a rien, aucun fait. À l’heure actuelle, il y a une augmentation des faits connus mais personne ne peut affirmer qu’il s’agit d’une augmentation des faits commis.

On peut connaître les variations de cas connus. C’est ce que je fais dans le cadre de mon travail. Et sur 30 ans, nous avons pu contribuer à ouvrir les yeux de ceux qui ne savaient pas entendre et comprendre. Est-ce qu’on peut en déduire une augmentation du nombre d’affaires sexuelles dans les juridictions, ça veut dire qu’il y a une augmentation par dix ou par cent des violences sexuelles imposées aux enfants? Non, ça veut dire qu’on peut multiplier par X le nombre d’affaires connues et qui donnent matière à une poursuite. Il y a toujours X faits de pédophilie par an, simplement à un moment donné, on pouvait en voir dix et aujourd’hui on en voit 25. Mais peut-être il y en a plus que cent …

N’est-il pas alarmiste de dire qu’Internet permet d’augmenter ce genre de pratiques ?

En tout cas Internet ou la pédophilie par Internet ne doit pas différer de ce qu’il s’est toujours passé dans ce domaine là. Simplement les nouvelles techniques viennent à la fois faciliter les choses, ouvrir de nouvelles voies. Mais comme par le passé ! On sait tous qu’avant on parlait plus d’hommes qui pouvaient aller dans les jardins publics et qui s’exhibaient, voire qui cherchaient …. Est-ce que fondamentalement, les attitudes et les mécanismes, les ressorts, sont différents d’aujourd’hui ?

“Sur les cent personnes avec qui votre enfant discute sur Internet, il n’y peut-être aucun pédophile !”

Il faut aussi savoir être réaliste, on peut développer la thèse du “plus on en parle et plus on accentue le phénomène” , mais …. En étant un peu les pieds sur terre, vous vous méfiiez des vieux messieurs dans les parcs qui pouvaient agresser votre enfant. La solution pour éviter ce genre de situation était de quitter le parc ou de ne jamais laisser votre enfant seul. Vous aviez la capacité de mettre en oeuvre une protection autour de votre enfant. Aujourd’hui, vous tournez le dos, vous êtes dans la cuisine et votre enfant dans sa chambre discute avec plusieurs contacts que vous pouvez ne pas connaître. Vous pensez votre enfant en sécurité mais peut-être pas … Après sur les cent personnes qu’il connaît ou avec qui il discute, il n’y peut-être aucun pédophile !

Quel est le vrai rôle d’Internet dans ce cas ?

Il y a 35 ans il n’y avait pas internet, et c’est vrai que les nouvelles technologies facilitent le “travail”, l’approche qu’un certain nombre de gens développent en direction des populations les plus fragiles. Mais sans le nier, il n’y a pas non plus à paniquer. Quand j’avais moins de 25 ans, on nous a appris à savoir lire le journal et à maîtriser l’accès à l’information. Plus que jamais cette démarche d’apprendre à maîtriser les instruments s’impose et il faut apprendre aux enfants à connaître l’offre de services qu’est internet. C’est un instrument extra-ordinaire de culture et de distribution du savoir, de l’accès au savoir. Nous verrons très bien demain la ligne de clivage entre ceux qui ont accès à internet et ceux qui n’ont pas accès à internet. Avant ça, comme tout instrument, il faut savoir s’en servir ! Avec un simple crayon noir on peut écrire un document diffamatoire, déborder d’injures comme écrire un chef d’oeuvre. Et avec un montblanc on peut écrire quelque chose de totalement stupide. Donc c’est pas l’instrument qui est en cause, c’est la maîtrise de l’instrument.


Illustrations pedobear via 4Chan et Kevin Jacobs [ccbyncsa] via Flickr

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Peurs sur le web http://owni.fr/2011/11/29/peur-sur-le-web-pedophilie-action-innocence/ http://owni.fr/2011/11/29/peur-sur-le-web-pedophilie-action-innocence/#comments Tue, 29 Nov 2011 08:00:52 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=53466 En 2011, 22 000 enfants ont assisté aux interventions d’Actions Innocence, devenu un acteur incontournable de l’éducation aux “dangers du Net” depuis son implantation en France en 2003. L’ONG, d’origine suisse, est signataire d’une convention de coopération avec le ministère de l’Éducation nationale depuis 2005, malgré les controverses qui l’entourent. Des campagnes que certaines voix critiques estiment anxiogènes.

Historiquement, Action Innocence se focalisait sur un danger, les cyberpédophiles. Une initiative de Valérie Wertheimer, épouse de Gérard Wertheimer, le co-propriétaire de Chanel, une des plus grosses fortunes de France. “Le déclic survient en 1994 alors que Valérie Wertheimer se rend en Thaïlande avec des amis. Elle prend pleinement conscience de l’horreur du tourisme sexuel et décide d’agir”, apprend-on dans un portrait. Ce paramètre émotionnel fait partie de l’ADN d’Action Innocence et explique ses choix en matière de communication. L’organisation se fait ainsi remarquer par des campagnes fortes. Aujourd’hui encore, son nom est indissociable de sa campagne mettant en scène “le masque” du cyberpédophile.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Et tant pis si le discours est à côté des chiffres : il y a infiniment plus de chance que l’adulte qui abuse d’un enfant soit le tonton ou le voisin de palier. Emmanuelle Erny-Newton, psychologue, spécialiste de l’éducation au numérique, rappelait ainsi :

Dans son rapport Techno-Panic & 21st Century Education: Make Sure Internet Safety Messaging Does Not Undermine Education for the Future, Nancy Willard, du Center for Safe and Responsible Internet Use, note qu’une grande partie du discours sécuritaire sur Internet est de la désinformation : on y présente le Web comme un lieu où les jeunes sont à haut risque de prédation sexuelle, alors que la recherche et les statistiques d’arrestations témoignent du contraire. [...]

Dans les cas débouchant sur des poursuites, les individus accusés de leurre d’enfants sur Internet étaient le plus souvent des hommes de 18 à 34 ans. Les données montrent également que les prédateurs sexuels mentent rarement sur leur âge ou leurs motifs, lorsqu’ils prennent contact avec un jeune en ligne. Leur tactique n’est pas la tromperie mais la séduction : ils manifestent beaucoup d’attention, d’affection et de gentillesse envers les jeunes, les amenant à croire qu’ils sont réellement amoureux. La plupart des jeunes qui acceptent alors une rencontre en personne le font en sachant qu’ils vont s’engager dans une relation sexuelle – relation sexuelle qui sera d’ailleurs répétée dans 73% des cas. Très peu de cas (5%) sont de nature violente, selon le Crimes Against Children Research Center.

Action Innocence assume ce parti-pris, comme l’a expliqué à OWNI Elizabeth Sahel, la présidente de l’antenne française :

“Le masque” date de 2006, nous avons été en 1999 une des premières associations à pointer du doigt les dérives d’Internet, tout ce qui préparait en matière de pédocriminalité, nous étions assez avant-gardistes en montrant les risques de mauvaise rencontre. Les cyberprédateurs existent aussi. Notre travail n’est pas de lutter contre la pédophilie, nous sommes une association de prévention pour l’enfance. Quand nous nous sommes demandés où nous allions intervenir en priorité, nous nous sommes dits qu’il y avait une porte ouverte. À travers cette communication, il n’a jamais été question de dire que le pédophile est plus sur Internet. Heureusement, d’autres personnes prennent en charge cette lutte, dont la cyberpédophilie, comme les gendarmes.

L’échange fut l’occasion de lui faire découvrir le pedobear, ce mème destiné à moquer le cliché du cyberprédateur. La position est assumée, quitte à se montrer contradictoire :

Nous avons des retours terrains, les élèves ont compris les risques de mauvaises rencontres, ils ne donnent plus leur numéro de téléphone, on s’en réjouit. Quant à dire que c’est grâce à nous, je ne sais pas. [...] Sur les 22 000 enfants que nous avons vus cette année, aucun ne nous a dit “on a peur du pédophile sur Internet”, personne ne nous parle de cette campagne comme de quelque chose de dramatisant, les usages n’ont pas été influencés par cette campagne. C’est une prudence qui est transmise par leurs parents et par les enfants.”

La jeune femme, qui souligne que leur équipe “a baigné dans Internet”, fait remarquer que leurs modules de formation ont évolué :

Aujourd’hui, il y a un autre risque, lié aux relations entre pairs, nous sommes davantage sur une aide sur les relations entre camarades, et une remise en question des actes. Il y a une infinie possibilité de bonnes pratiques comme de mauvaises pratiques, notre objectif est de préserver les jeunes de ces risques possibles.

“Net-rumeur, vie privée et droit à l’image, réseaux sociaux, diffamations, cyber-intimidation, incitations dangereuses, téléchargement illégal”, etc. sont ainsi aussi abordés. Glissement de culpabilité aussi : l’objectif initial était de “Préserver la dignité et l’intégrité des enfants sur Internet” (sous-entendu des adultes), il s’agit aussi de prévenir des agissements des jeunes envers d’autres jeunes mais aussi envers les adultes, par exemple les professeurs… ou les ayants-droit.

“Pour pointer du doigt la réalité, il y a les études”

Sur ce champs élargie, la pédagogie du faits divers et de l’émotion est encore de mise. Une étude [pdf] produite par une de leurs psychologues, Martine Courvoisier, pointe l’absence de travaux démontrant l’impact à long terme des images pornographiques sur les enfants. Pourtant, la pornographie n’a pas spécialement bonne presse à Action Innocence, comme en témoigne ce visuel, intitulé “Amour et pornographie n’ont rien à voir !”. Il montre une fille, cet être romantique et désincarnée, claquant son petit ami, cette bite sur patte, qui essaye de la peloter, après avoir regardé du porno sur Internet pour “assurer”. Elizabeth Sahel répond :

Pour pointer du doigt la réalité, il y a les études. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas prouvé l’impact direct entre un risque et sa conséquence qu’on n’a pas intérêt à prévenir ces éventuelles conséquences. Là je vous parle en tant que maman, c’est comme si je vous dis le téléphone sur un enfant aucune étude n’a prouvé que c’était nocif, qu’il n’y a pas par ailleurs une conscience protectrice qui consiste à équiper son enfant en téléphone le plus tard possible, c’est deux choses différentes. Dans l’un c’est l’intuition, dans l’autre c’est juste une remise en question de la diabolisation d’un phénomène sur les enfants.

Elle nous a assuré que le porno n’était pas diabolisé lors de leurs interventions :

Nous ne sommes pas là avec nos pancartes “non à la pornographie”, nous n’avons pas de jugement à donner. Nous indiquons cette nuance entre la réalité et la pornographie, ce n’est pas que ça les relations humaines. On leur dit ce qu’est la pornographie, il y a des tas de confusions possibles. Une image pornographique est négative si elle va créer chez vous une émotion, si elle vous choque, parlez-en dans ce cas-là à vos parents, ce n’est pas grave, on est vraiment dans ce discours pour protéger le jeune, qu’il ne sente ni coupable, ni choqué, qu’il garde éventuellement ça pour lui, c’est bon aussi pour les images violentes.

À voir le succès des formations, elles répondent aussi à une attente. Les retours que nous avons eus, en particulier de personnels pédagogiques de l’éducation, sont mi-figue, mi-raisin. Certains les trouvent pertinentes et équilibrés, d’autres les jugent anxiogènes et n’offrant pas une vision constructive d’Internet.

“Ceux qui les critiquent ne connaissant pas nos modules, répond Elizabeth Sahel. C’est qui ? Des blogueurs ?” Nous lui expliquons alors qu’il s’agit de personnels pédagogiques qui ont assisté aux formations récentes :

On ne peut pas plaire à tout le monde, j’entends ces critiques. Il y a deux façons de faire, de la prévention jusqu’à l’éducation au numérique, nous sommes au milieu. Pour avoir une attitude responsable et citoyenne des nouvelles technologies, il faut aussi connaître les dangers et les risques. Pour moi, nous sommes vraiment dans une démarche extrêmement positive.

L’association de Mme Chanel

On reproche à Action Innocence de verser dans le cliché, elle renvoie la balle, lassée d’être réduite à l’association de l’épouse du co-propriétaire de Chanel, tailleur pied-de-poule, réseaux et locaux dans le XVIème. D’emblée, lorsque l’entretien part sur cette question, Elizabeth Sahel se braque :

- Valérie Wertheimer est la figure-clé de l’association, elle a mis ses moyens financiers et son réseau au service de la cause, comment concrètement ce réseau vous bénéficie-t-il ?

- C’est une question sensible. Je ne répondrai pas à la partie concernant Valérie Wertheimer.

-Je dois voir avec qui alors ?

-Personne. Soit on parle du projet de l’association… Vous enregistrez ? On peut décider quand commence l’interview car là je vous parle de choses qu’à mon sens je n’ai pas à vous préciser.

- Sur les moyens financiers…

- Ça non plus, je ne vois pas… ils évoluent, on mène des conférences le soir avec des parents, des mécènes, des partenariats.

Le seul coup de pouce de Valérie Wertheimer, nous explique-t-elle, c’est le gala annuel de charité. Un coup de pouce maousse à 300 000 euros en 2010 [pdf], sachant que l’association a six salariés. On n’en saura pas plus sur les budget. Pour montrer que l’association ne roule pas sur l’or, Elizabeth Sahel souligne qu’ils viennent d’embaucher un responsable partenariat, lesquels complètent les sommes rapportées par les interventions. Celles dans les établissements scolaires [pdf] sont gratuites et durent d’une heure à deux heures, en revanche, celles pour les parents sont à 200 euros, pour 2 h 30. “Des associations de parents d’élèves organisent la rencontre, en général après une session auprès des élèves”, détaille Elizabeth Sahel. Celle pour les professionnels de l’enfance sont sur devis. Dans chaque cas, transport et hébergement le cas échéant sont à la charge des organisateurs. Comme l’association est partenaire du ministère, il est possible de se faire rembourser une partie des frais.

Enfin, Action Innocence élargit tellement sa palette d’action qu’elle propose aussi d’intervenir… en entreprise [pdf] :

La  sécurité des systèmes d’information est un enjeu majeur pour les  entreprises qui peuvent faire l’objet de cyber attaques plus ou moins  graves. En parlant de la protection des enfants sur Internet, Action  Innocence permet à certaines entreprises d’aborder la sécurité  informatique d’un point de vue plus global.

Pour 500 euros l’heure et demi, les bénéficiaires de la formation sauront ainsi “Les véritables activités des enfants sur Internet, Le cyber pédophile et ses techniques d’approche”, etc. toute chose fort utile pour une entreprise soucieuse de sa sécurité informatique et pour rentabiliser des Powerpoints.

Interrogée sur le fait de savoir s’il est normal qu’une association soit subventionnée pour effectuer ce qui relève du socle commun des compétences que l’école doit transmettre à tout élève à la fin de la scolarité obligatoire, Elizabeth Sahel nous a répondu avec franchise :

Oui tout à fait, c’est juste.

Sur ce point, Thomas Rohmer, co-fondateur de Calysto, une société qui s’est taillée sa part sur ce qui est bien un marché, avait été moins direct :

Est-ce que l’école peut tout assurer alors qu’il y a des restrictions budgétaires ?


Illustrations par Marion Boucharlat pour OWNI

Image de Une Marie Crochemore pour OWNI

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16 ans au parloir, 18 ans dans l’isoloir : la contradiction de la réforme Estrosi http://owni.fr/2011/01/24/16-ans-au-parloir-18-ans-dans-lisoloir-la-contradiction-de-la-reforme-estrosi-securite-mineurs-prison/ http://owni.fr/2011/01/24/16-ans-au-parloir-18-ans-dans-lisoloir-la-contradiction-de-la-reforme-estrosi-securite-mineurs-prison/#comments Mon, 24 Jan 2011 08:08:32 +0000 Jean-Pierre Rosenczveig http://owni.fr/?p=37766 C’est un lieu commun que de relever qu’à moins de 18 mois des élections présidentielles de 2012 tout est pensé, dit, mis en œuvre dans cette perspective chez eux qui aspirent à l’emporter. A l’orée de l’été le président de la République avait remis une feuille de route très claire dont tous les grands médias s’étaient fait l’écho : pendant l’été il fallait « cliver » l’opinion. On n’a pas été déçu du voyage ! On en a payé le prix fort en interne et à l’international avec l’attaque anti-roms.

Aujourd’hui, le nouveau leader des députés UMP s’en prend à la fonction publique en remettant en cause de manière radicale le statut des fonctionnaires. Et bien évidemment le terrain de la sécurité offre une foultitude de pistes, souvent exploitées dans le passé, mais toujours susceptibles de faire recette dans la mobilisation médiatique de l’opinion. Et encore plus quand il s’agit déjà de reconquérir l’électorat droitiste perdu.

Estrosi, propositions…

Le président lui-même reprend sa vieille idée de juges populaires élus auprès des juges correctionnels et des juges de l’application des peines quand, dans son coin, apparemment en flibustier, Christian Estrosi agite à nouveau le spectre de la délinquance juvénile qui met à feu et à sang le pays en toute impunité. Pour le maire de Nice, en phase dans l’analyse avec le président, la jeunesse d’aujourd’hui serait différente de celle d’hier. il conviendrait donc de lui appliquer un droit différent : à tout dire celui des adultes qui serait plus performant.

Il propose déjà de revenir sur deux l’idée qui a dominé le XX° siécle depuis 1912 qui veut qu’un enfant ne doive pas être puni comme un adulte.

Il entend supprimer le bénéfice de l’excuse de minorité qui fait qu’une personne de moins de 18 ans encourt une peine moitié moins élevée que celle encourue par un majeur qui aurait commis des faits analogues : un an et demi pour un vol simple quand la peine est normalement de 3 ans, 2 ans et demi pour un vol avec violence au lieu de 5 ans, 3 ans et demi si ce vol avec violence est commis en réunion et pour peu qu’il soit commis dans un lieu destiné aux transports voyageurs la peine est de 5 ans quand pour un adulte elle pourrait être de 10 ans. Précisons que cette règle n’empêche pas un mineur d’être plus sévèrement puni qu’un majeur s’il a eu une part plus importante dans l’action delictuelle commune.

Estrosi, action!

La proposition Estrosi ne vise que les 16-18 ans. En l’état elle épargne les moins de 16 ans pour lesquels cette réduction de la peine encourue est en toutes circonstances acquise : un moins de 16 ans ne peut pas être tenu pour un adulte. En revanche, le principe serait de punir systématiquement les 16-18 ans comme des adulte saufs à ce que le juge des enfants maintienne qu’ils n’ont pas la maturité d’un enfant.

Concrètement, et c’est la deuxième proposition Estrosi, les 16-18 seraient renvoyés devant un tribunal correctionnel normal pour être jugés, sauf à ce que le juge des enfants qui a instruit le dossier s’y refuse, mais il lui faudra se justifier.

En langage commun avec ces deux préconisations il s’agit bien d’abaisser a priori la majorité pénale à 16 ans au prétexte affirmé, mais pas démontré de l’évolution de la psychologique des jeunes. De même affirme-t-on que cette reforme serait conforme aux grands principes du droit et à l’ordre international auquel la France a adhéré.

Surtout ne pas laisser l’idée germer chez les parlementaires

On pourrait négliger ce projet et son argumentaire en considérant qu’une telle réforme n’a quasiment aucune chance d’être votée au regard déjà de l’ordre du jour parlementaire, avec un gouvernement et des élus qui doivent déjà faire face à la nécessité d’une réforme de la garde à vue, qui doivent se positionner sur le statut du parquet avant d’envisager de s’attaquer, réforme qui tient à coeur du président, à la suppression du juge d’instruction.
La barque était déjà bien chargée pour une année qui doit certes être utile, mais qui on le relèvera aussi ne peut pas être concentrée sur la justice. Elle l’est encore plus qu’il faut d’ici un an introduire les juges correctionnels populaires et montrer que ce dispositif peut fonctionner.

Il faut pourtant mener le combat des idées afin de ne pas laisser s’installer insidieusement l’idée que M. Estrosi pourrait avoir raison sur un quelconque point quand il a tort sur l’ensemble.

Eléments pour un contre-argumentaire

Premier élément du constat faux : les 16-18 ans ont désormais une maturité d’adultes et non plus d’enfants.

Il va de soi qu’on doit se méfier des généralisations. Certains peuvent être mûrs très tôt et faire preuve de très grand sens des responsabilités – conf. la période de la Résistance – quand d’autres à 77 ans sont encore des enfants.

Si M. Estrosi est si sûr de lui pourquoi n’en tire-t-il pas la conséquence en proposant l’abaissement de la majorité politique à 16 ans comme certains l’ont déjà fait dans le passé (les jeunes UDR, François Dolto). Il suffit de relire son texte pour en mesurer la vacuité. On affirme, on ne démontre pas.

Un mineur de 1945 n’est plus un enfant en 2010 ! C’est d’ailleurs la raison qui a conduit les majorités successives à confier de plus en plus de responsabilités aux jeunes : abaissement de la majorité civile à 18 ans, création de la conduite accompagnée qui permet de conduire dès 16 ans, abaissement de l’âge pour devenir député à 18 ans voté à l’assemblée dans un texte en cours de discussion.

Bref, le seul exemple valable est tiré de la conduite assistée. Quelle rigueur scientifique et politique. Un peu plus loin – rigueur dans la pensée et dans l’écriture ! – M. Estrosi avance que

Cela parait plus en phase avec la réalité de notre temps et permet de coordonner la majorité pénale avec l’âge de la non obligation de scolarisation et l’âge légal du travail.

Travailleur, délinquant mais pas électeur ! Cherchez la cohérence.

Deuxième argument : la délinquance des moins de 18 ans a augmenté de 16,19 % entre 2004 et 2008.

Vrai en valeur absolue ; faux en valeur relative. La part de la délinquance des moins de 18 ans dans la délinquance globale décroit depuis 2000. Elle était de 16% dans les années 80 pour monter à 20,4 % en1999 et décroitre en 2008 à 17%. En d’autres termes, non seulement la délinquance de adultes reste de 4 fois supérieure à celle des moins de 18 ans, mais elle reprend plus d’ampleur dans la dernière période.

M. Estrosi vise peut être les jeunes adultes de18-25 ans, mais cela ne concerne pas les moins de 18 ans !!!! Dit autrement : où est l’actualité sociologique d’une réforme qu’on présente comme révolutionnaire ? On est bien purement et simplement dans l’idéologie.

Troisième argument : la proposition de loi Estrosi se veut innovante.

Il estompe qu’en 2007 deux lois (mars et septembre) sont venues élargir considérablement les possibilités de retirer l’excuse atténuante de minorité aux 16-18 ans auteurs de délits ou de crimes introduite en 1992. Non seulement le juge peut considérer comme par le passé qu’au moment du délit le jeune de 16-18 ans a fait preuve d’une maturité digne d’un adulte, mais il peut encore s’attacher à la gravité de l’acte commis lui-même, ce qui est déjà aberrant. Mieux, la loi retire automatiquement le bénéfice de l’excuse de minorité au jeune en double récidive légale quitte au juge a lui en restituer le bénéfice s’il trouve des argument dans le dossier (et s’il est près à en assumer la responsabilité publique quand il sera interpellé). Ces deux réformes, l’une votée avec M. Sarkozy comme ministre de l’intérieur l’autre avec M. Sarkozy comme président de la République, étaient-elles aussi mal évaluées par leurs auteurs qu’il faille les revoir 3 ans plus tard?

Quatrième argument : tout cela est conforme à la Constitution et à l’ordre international.

M. Estrosi affirme avoir beaucoup travaillé sur ce point. Là encore il est léger.
Dans sa décision du 29 août 2002 le Conseil Constitutionnel considère que

constituent des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ayant à ce titre valeur constitutionnelle en vertu du Préambule de la Constitution de 1946, les principes de l’atténuation de responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, de la primauté de l’action éducative, s’agissant de la «nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité» et de la spécialisation des juridictions et des procédures concernant les mineurs.

Ainsi la loi de 1906 qui fixe à 18 ans la majorité pénale est un grand principe de constitutionnalité

Le risque encouru? Stigmatiser les jeunes

Le Conseil Constitutionnel n’aurait pas à pousser très loin les investigations sur les intentions du législateur. M. Estrosi l’assène :

Ces deux mesures reviendront à abaisser dans la plupart des cas l’âge de la majorité pénale à 16 ans.

De même le Conseil entend-il garantir la spécificité de la justice des mineurs à travers des magistrats spécialisés. Il censurerait le renvoi devant un tribunal correctionnel auquel la Commission Varinard elle-même avait renoncé dans le rapport remis le 3 décembre 2008.

Nous avons ratifié la Convention internationale sur les droits de l’enfant en adhérant à la majorité civile et pénale à 18 ans. Ce texte fait un sort spécifique aux enfants parce que justement ce sont des enfants. Ce serait fantastique de voir la France revenir sur son engagement. Là encore n nous porterions un sacré coup de canif – un de plus – à notre fond de commerce international de patrie auto proclamée des Droits de l’homme.

On peut argumenter et polémiquer sur tout cela. La réalité est bien connue de ceux qui réellement se sont penchés sur le dossier et ne sont pas dans des enjeux électoraux où il faut agiter la peur d’une partie de la population en détournant son attention des vrais problèmes du pays. On doit refuser le discours sur les jeunes, (avec l’amalgame enfants et jeunes majeurs) responsables de tous nos maux, ne respectant pas l’autorité, pour ne pas viser les jeunes de certains quartiers et ceux issus de l’immigration récente !

Et dans la réalité, les faits ne sont pas si sombres

On peut résumer simplement les données du problème « Prévenir la récidive des enfants délinquants». Les lecteurs réguliers de ce blog ne seront pas surpris.
Là encore on ne peut pas faire l’économie de les réaffirmer :

- La loi est plus performante qu’on le dit pour avoir été régulièrement révisée. Il ne faut pas la révolutionner au point de supprimer le sort particulier fait aux enfants avec le souci d’etre non pas angélique, mais performant, les techniques appliquées aux adultes ne peuvent pas fonctionner pour eux. Il ne faut pas changer la loi, mais réunir les moyens pour la servir ;

- Avant d’être judiciaire, le problème est policier : le taux de réussite de la police est de moins de 30% !

- L’enjeu n’est pas tant de punir que de mettre en œuvre les mesures éducatives décidées. Ce qui est loin d’être le cas : on manque de structures d’accueil pour les jeunes que l’on veut éloigner et le milieu ouvert n’a pas les moyens nécessaires. Les délais de mises en œuvre des mesures restent trop longs.

- Il faut s’inscrire dans la durée : vouloir revenir en quelques temps sur des années de dégradations relève de l’utopie, de même qu’on ne peut pas soigner une maladie grave en 5 mn avec un cachet d’aspirine ;

- Il faut imaginer des réponses sur mesure pour les jeunes vraiment inscrits ou en passe de s’inscrire dans la délinquance ;

- Il faut mobiliser les compétences parentales et non pas les dégrader et les pénaliser ;

- Il faut valoriser les compétences des jeunes et non pas vouloir les mater ;

- Il faut souvent les soigner avant de les punir ;

- Surtout il faut leur donner de l’espoir de pouvoir vivre autre chose et déjà leur offrir de faire un long bout de route avec des adultes qui croient en eux et dans lesquels ils se reconnaissent.

- S’ils suffisaient d’incarcérer les enfants pour éradiquer le crime cela se saurait depuis longtemps. Des hommes ( et des femmes) plus que des murs reste le vrai slogan à retenir.

A quelques détails près, telles sont les pistes à suivre pour répondre à la délinquance acquise des moins de 18 ans. Je ne reprends pas ici l’autre démarche qui vise à prevenir la primo-délinquance.

Interrogeons nous et vérifions si les conditions sont déjà réunies pour mettre en place ce programme. J’observe que malgré toutes les fausses critiques qui lui sont adressées (absence de réponse judiciaire, laxisme, lenteur, inefficacité etc.), notre justice tient la barre et contribue à protéger la population et à rendre justice aux enfants mais aussi aux victimes.

Je ne relèverai qu’un point : 85% des jeunes personnes délinquants le temps de leurs enfants ne le sont pas après leur majorité. On est loin d’échouer.
Ce n’est pas en abaissant la majorité à 16 ans, à 14, à 10 voire à 3 ans comme je le proposais avec un brin d’humour qu’on éradiquera le crime, mais en menant une politique pénale de réinsertion fondée sur l’éducation, ce qui n’exclut pas la fermeté.

C’est sûrement plus facile de voter un texte de loi. Mais ce n’est pas protéger la population, réellement.
Même la commission Varinard n’a pas osé tordre le cou aux réalités comme M. Estrosi le fait. On est dans la démagogie pure et dure. Espérons que l’électeur s’en rendra compte car nous n’en sommes qu’aux hors d’œuvre de la campagne.

A lire pour ceux qui m’accuseraient d’anti-UMP primaire: un écrit commun sur le sujet avec un député UMP [Claude Goasguen]

Billet initialement publié sur Jprosen sous le titre Cap2012: on recharge les accus sécuritaires

Illustrations Flickr CC Luigipics, FloridaMemory, State Library

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Non, elles n’ont pas rencontré leurs agresseurs sexuels sur Internet http://owni.fr/2010/03/29/non-elles-n%e2%80%99ont-pas-rencontre-leurs-agresseurs-sexuels-sur-internet/ http://owni.fr/2010/03/29/non-elles-n%e2%80%99ont-pas-rencontre-leurs-agresseurs-sexuels-sur-internet/#comments Mon, 29 Mar 2010 06:45:39 +0000 Emmanuelle Erny-Newton http://owni.fr/?p=10961

En tant que pédagogue œuvrant pour l’éducation aux médias, je ne peux que me réjouir du fait que l’Ontario ait décidé d’inclure à son cursus scolaire des leçons sur la sécurité sur Internet.

Le court article du Globe and Mail rapportant ce changement m’a cependant laissée confuse ; en effet, l’article ajoutait « Ce changement est annoncé le jour même où la police de l’Ontario vient d’interpeller trente-cinq personnes pour possession de pornographie infantile » (c’est moi qui traduit).
Ah ? Le message subliminal de l’article est en substance : ceci (danger de pédopornographie) explique cela (leçons de sécurité sur Internet). Le coup de filet de l’Ontario aurait-il donc montré que les jeunes victimes ont rencontré leurs bourreaux en ligne ? me dis-je in petto…

Pour en avoir le cœur net, je remonte jusqu’au communiqué de presse diffusé par les services de police. Là, plutôt qu’une réponse directe à ma question, j’y trouve la citation suivante de l’inspecteur Scott Naylor, chef de la Section de l’exploitation sexuelle des enfants de la Police provinciale de l’Ontario : « Les parents et les tuteurs doivent s’informer eux-mêmes sur la technologie que leurs enfants utilisent afin de les protéger comme il convient. Malheureusement, la plupart des parents et des tuteurs sont loin de comprendre la technologie du Web aussi bien que leurs enfants. »
Si suite à l’arrestation de prédateurs sexuels, l’inspecteur Scott Naylor prend la peine d’exhorter les parents à « protéger les enfants en ligne », cela semble indiquer que les jeunes victimes ont bien été trouvées sur Internet.

Ce qui me gêne, cependant, c’est que ma conclusion n’est qu’une inférence. Afin d’aller au fond des choses, je décide d’appeler le sergent Pierre Chamberland, Coordonnateur des relations avec les médias, dont les coordonnées se trouvent sur le communiqué de presse.

Moi : « Pouvez-vous me dire si les victimes dont vous parlez avaient rencontré leurs agresseurs sur Internet ? »

Lui : « Non, elles n’ont pas rencontré leurs agresseurs sur Internet. »

Moi : « Mais alors, pourquoi la citation de l’inspecteur Scott met-elle l’emphase sur la sécurité des enfants en ligne ? »

Lui : « Parce que c’est souvent en ligne que les victimes d’abus sexuels rencontrent leurs prédateurs. »

Heu… non. Les recherches sur le sujet montrent de façon consistante que les prédateurs sexuels prennent généralement leurs victimes dans leur cercle familial ou relationnel. C’est à l’évidence bien plus simple pour eux.

Une grande partie du discours sécuritaire sur Internet est de la désinformation

Dans son rapport Techno-Panic & 21st Century Education: Make Sure Internet Safety Messaging Does Not Undermine Education for the Future, Nancy Willard, du Center for Safe and Responsible Internet Use, note qu’une grande partie du discours sécuritaire sur Internet est de la désinformation : on y présente le Web comme un lieu où les jeunes sont à haut risque de prédation sexuelle, alors que la recherche et les statistiques d’arrestations témoignent du contraire. Au Canada, les statistiques combinées de 2006 et 2007 révèlent que le nombre d’individus déclarés coupables de leurre d’enfants sur Internet s’est élevé à… 89, et ce sur tout le territoire canadien. Voilà qui met certainement en perspective la panique morale à propos du Web comme premier pourvoyeur de prédation sexuelle.

Mais alors pourquoi forces de l’ordre et les journalistes dans la foulée continuent-ils à entretenir l’idée qu’Internet est un haut lieu de prédation sexuelle ?

Pour les journalistes, tout du moins, il semble qu’il y ait souvent confusion entre le Net comme lieu de diffusion de pédo-pornographie et lieu de prédation sexuelle. Voyez par exemple l’article du Devoir Cyberpédophilie – Les plus jeunes sont les plus maltraités . L’article traite de la diffusion de pédo-pornographie sur la Toile, mais l’image et le sous-titre qui accompagnent l’article (« Le Canada reste un des refuges préférés des prédateurs de la Toile ») créent la confusion en illustrant le thème de la prédation sur Internet.

Quant à la vision erronée du web comme lieu de prédation, chez les forces de l’ordre, Nancy Willard l’explique ainsi : « D’une certaine façon, ceci est compréhensible. Chercher à appréhender ce problème complexe rappelle la parabole des sages aveugles essayant de décrire un éléphant. La police, malheureusement, a la responsabilité de se tenir au niveau de « l’arrière-train ». Il n’est donc pas surprenant que leur perception de l’éléphant ait été influencée par les excréments qu’ils voient régulièrement. Cependant, l’analyse même de leurs propres données montre qu’ils ne décrivent pas correctement l’excrément.»

Les prédateurs en ligne mentent rarement sur leur âge

Voyons donc ce que disent les données, afin de « décrire correctement l’excrément », pour reprendre Willard.
Dans les cas débouchant sur des poursuites, les individus accusés de leurre d’enfants sur Internet étaient le plus souvent des hommes de 18 à 34 ans. Les données montrent également que les prédateurs sexuels mentent rarement sur leur âge ou leurs motifs, lorsqu’ils prennent contact avec un jeune en ligne. Leur tactique n’est pas la tromperie mais la séduction : ils manifestent beaucoup d’attention, d’affection et de gentillesse envers les jeunes, les amenant à croire qu’ils sont réellement amoureux. La plupart des jeunes qui acceptent alors une rencontre en personne le font en sachant qu’ils vont s’engager dans une relation sexuelle – relation sexuelle qui sera d’ailleurs répétée dans 73% des cas. Très peu de cas (5%) sont de nature violente, selon le Crimes Against Children Research Center.

Or ce portrait est très éloigné du portrait typique du « cyber-prédateur », tel que les parents se le représentent au vu de ce que disséminent la police et les journalistes dans leur foulée ; lorsque, durant mes présentations, je pose la question « Quel est à votre avis le profil d’un prédateur sexuel sur Internet ? », je n’ai jamais encore obtenu d’autre réponse qu’une description en règle du « pervers pépère » tel que Gotlib le croquait dans les années 80. Comment pourrait-il en être autrement lorsque les gouvernements mêmes propagent cette image erronée : voyez par exemple cette campagne (dite) d’intérêt public diffusée dans de nombreux pays (le « pervers pépère » apparaît à la toute fin).

La représentation inexacte des « cyber-prédateurs » n’est pas anodine : elle débouche hélas sur une réponse éducative inadaptée. Finkelhor insiste sur le fait que pour outiller les jeunes contre les prédateurs en ligne, il ne s’agit pas de les inciter à se méfier de tout le monde sur le Net, mais bien plutôt à débusquer ceux qui jouent sur la « naïveté émotionnelle » des adolescents pour les entraîner dans une relation prétendument « amoureuse ». De fait, la recherche montre que les jeunes les plus à risque sont ceux qui ont des problèmes émotionnels tels que de mauvaises relations avec leurs parents, ou des difficultés à trouver ou accepter leur identité sexuelle.

Dresser un portrait erroné des « prédateurs en ligne » n’est vraiment pas un cadeau que l’on fait à nos jeunes ; il leur fait courir un risque réel, celui de ne pas repérer le danger lorsque (et si) il se présente –et même de se méprendre sur le danger lui-même : mettre en garde nos enfants contre des quinquagénaires obsédés cachant leurs intentions et leur âge pour mieux violenter leurs victimes récalcitrantes, laissera la part belle aux prédateurs réels : ceux qui parlent ouvertement de sexualité à des adolescents en train de découvrir la leur ; des individus qui suscitent et cultivent les sentiments de leurs victimes ; des hommes jeunes qui n’auront en rien, de par les standards médiatiques, la gueule de l’emploi.

Pour de plus amples informations sur le sujet, je vous invite à consulter la section Risques et préjudices sexuels de notre site Web Averti.

Billet initialement publié sur le site  du Réseau Education-Médias sous le titre “La gueule de l’emploi : Internet, risques sexuels et représentation médiatique”

Photo CC Flickr sankax

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