OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 E-direct de l’e-G8 http://owni.fr/2011/05/24/direct-eg8-sarkozy-internet/ http://owni.fr/2011/05/24/direct-eg8-sarkozy-internet/#comments Tue, 24 May 2011 15:54:27 +0000 Andréa Fradin, Ophélia Noor, Guillaume Ledit et Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=64309 Cet article sera mis à jour tout au long de cet e-G8, par notre e-OWNIteam \o/

Retrouvez les points les plus importants:

- Notre grille de Bullshit Bingo

- “Ne faites pas de mal à Internet”

Tuyaux, propriété intellectuelle, et le ton monte

- La société civile organise sa propre session

- Un déjeuner à l’É-lysée

- Et maintenant?


Un immense chapiteau en forme d’Algeco géant, des centaines d’invités, des petits fours Lenôtre, quelques gros bonnets descendus de leur tour d’ivoire (Didier Lombard traversant le buffet), le décor de l’e-G8 est solidement planté. Tout a commencé par une allocution attendue de Nicolas Sarkozy, chaudement accueilli par Maurice Lévy, le P-DG de Publicis et président de l’événement. “Ce forum est historique”, s’est emballé le publicitaire, visiblement ravi de jouer les maîtres de cérémonie. “Internet doit être libre des contraintes et responsable”, a-t-il ajouté, pour mieux introduire le président de la République.

Premier enseignement du Sarkozy 2.0: s’il a abandonné le concept impopulaire d’“Internet civilisé”, c’est pour mieux lui préférer la notion d’“Internet responsable”, une subtilité rhétorique qui a traversé l’ensemble de son allocution. Après avoir remis en question l’Hadopi lors de l’installation du Conseil national du numérique le 27 avril dernier, le chef de l’État a de nouveau durci le ton, érigeant le droit d’auteur, la propriété intellectuelle et la lutte contre les monopoles au rang de priorités. Dans l’entourage du président, on refuse de livrer le nom de la plume qui a couché ces bons mots (pas plus qu’on ne veut donner les noms des quelques chefs d’entreprise privilégiés qui ont déjeuné à l’Élysée ce midi) . Entre autres morceaux choisis, on peut isoler ceux-ci:

Vous avez besoin d’entendre nos lignes rouges au nom de l’intérêt général de nos sociétés.

Personne ne doit pouvoir être exproprié [...] de sa propriété intellectuelle.

Vous (les acteurs d’Internet, ndlr) ne pouvez pas vous exonérer de valeurs, de règles minimum.

Afin de tenir une comptabilité précise, nous avons imaginé une petite . Libre à vous de l’imprimer et de remplir le tableau de marque.

Après avoir loué les soulèvements arabes qu’il aurait pourtant évacué d’un revers de main il y a quelques semaines (“Internet est devenu l’échelle de crédibilité d’une démocratie, ou l’échelle de honte d’une dictature”), Nicolas Sarkozy a été apostrophé par le journaliste américain Jeff Jarvis. Il lui a demandé de prêter serment:

Do not harm the Internet / Ne faites pas de mal à Internet

Interrogé par OWNI, Jarvis regrette que le président ne l’ait pas pris au sérieux. En sus, il estime que “les gens de l’Internet auraient du organiser leur propre sommet”, en regrettant l’omniprésence de la sphère industrielle.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Dans le même temps, quelques autres voix dissonantes se faisaient entendre, comme celle de Yochai Benkler, éminent professeur de droit à Harvard, qui a fustigé l’“absurdité de la loi Hadopi”. Même Eric Schmidt, le directeur exécutif de Google, y est allé de son refrain contestataire, en exhortant les Etats à ne pas légiférer trop tôt, parce que “la technologie avance plus vite que les gouvernements”. Ces belles intentions n’ont pourtant pas permis de redresser le niveau d’une séance “Internet et société” dans laquelle Jimmy Wales, le fondateur de Wikipedia, a du ferrailler avec Facebook ou Groupon. Tenant d’un réseau ouvert, Tristan Nitot, M. Mozilla en Europe, nous a fait part de sa satisfaction d’être invité, tout en s’agaçant de la composition des panels et “qu’on passe sous silence ce qui n’a pas de valeur financière”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Au vu du débat, difficile de lui donner tort. Stéphane Richard, patron d’Orange (qui est l’un des deux plus gros sponsors de l’e-G8), a profité de sa présence dans cette plénière sur les implications sociétales du Net pour imposer un thème qui lui est cher: la contribution des fournisseurs de service dans le financement des infrastructures, sur un argument simple, en forme de double lame:

Sans les réseaux Internet n’est rien [...] Internet n’est pas qu’une question de libertés, c’est une question d’argent.

Après cette incursion dans l’épineuse question de la netneutralité et des tuyaux (pendant laquelle Google et Apple en ont pris pour leur grade), on a pu assister à l’apothéose de cette première journée: la discussion sur “la propriété intellectuelle et l’économie de la culture à l’heure du digital”. Dans le coin droit, Antoine Gallimard, Pascal Nègre (président d’Universal), le patron de la Twentieth Century Fox, celui de Bertelsmann et Frédéric Mitterrand, ministre de la Culture. Dans le coin gauche, un invité surprise, John Perry Barlow, cofondateur de l’Electronic Frontier Foundation, une association américaine qui défend les libertés numériques.

Sans surprise, le débat “apaisé” a vite tourné à la foire d’empoigne. Tandis que Pascal Nègre défendait son fonds de commerce en affirmant que le Net “crée des déserts culturels”, Barlow répondait par un soupir:

Mon Dieu, je ne vis pas sur la même planète.

John Perry Barlow, seul contre tous?

Pendant que la salle, coupée en deux, applaudissait tour à tour chaque camp, et que dans la salle, Andrew Keen (l’auteur du Culte de l’amateur) jouait avec jubilation sa partition de troll, Jérémie Zimmermann, le porte-parole de la Quadrature du Net, apostrophait vigoureusement un panel décidément attaché à ses bas de laine.

L’orage passé, John Perry Barlow nous confie qu’il a été invité à participer à cette plénière à la dernière minute: Lawrence Lessig, pape des Creative Commons et professeur de droit à Stanford, devait tenir la place du gardien du temple, mais Frédéric Mitterrand aurait fait barrage à sa présence. A l’e-G8, tout le monde a droit à la parole, mais pas de la même façon.

Cliquer ici pour voir la vidéo.


Mercredi, sur le coup de 11h, quelques représentants des internautes ont décidé de tenir une conférence de presse sauvage en marge des débats. Face à un parterre d’une quarantaine de personnes, six intervenants ont pris la parole pour défendre “un Internet ouvert et libre”:

Cliquer ici pour voir la vidéo.

“Je suis surpris qu’un événement français soit aussi américain”, a ironisé Lessig, avant de s’en prendre à l’ “audace de Nicolas Sarkozy, qui consiste à demander à de gros industriels quel doit être le futur d’Internet”. De son côté, Yochai Benkler a évoqué l’opposition de deux camps, qui s’affrontent “depuis quinze ans”:

Il y a d’un côté un camp ancré dans le XXe siècle qui a peur du changement, de l’innovation. Ces grandes compagnies veulent que le camp adverse, celui d’un réseau décentralisé, distribué, se plie à leurs exigences.

Sur une tonalité alarmiste, Jeff Jarvis s’est dit “effrayé par ces deux jours”. Pour lui, “Internet n’est pas l’affaire des gouvernements”. Tandis que Lessig soutenait que le Net “a très bien réussi à s’auto-éduquer”, Jérémie Zimmerman s’en est pris aux sponsors de l’e-G8, et Susan Crawford a souligné “l’absence de consensus sur le contrôle d’Internet”.

En aparté, Lawrence Lessig a explicité plus précisément son point de vue sur le barnum parisien, en expliquant notamment les déboires de Google aux États-Unis:

Quand vous voyez le mode d’organisation de cet événement, on peut parler de ploutocratie. Bien sûr, il faut écouter les grosses compagnies, mais elles ne jouent que la carte du profit. La question est la suivante: comment transformez-vous radicalement la façon dont les gouvernements fonctionnent? La réponse des États-Unis est très étroite d’esprit, et Google s’y heurte sur de nombreux sujets. Mais je ne leur fais pas confiance pour autant. Ce qui est inscrit dans leur patrimoine génétique, c’est le profit maximal.

Hier, la rumeur bruissait dans les allées de l’e-G8: Nicolas Sarkozy s’était entouré d’une vingtaine d’entrepreneurs pour partager son déjeuner élyséen. Une photo, publiée sur le site de l’Elysée, permet d’identifier ces joyeux convives.


La légende n’étant pas complète sur le site du Palais, nous avons identifié les individus présents sur la photo. Il nous en manque encore deux (les points d’interrogation dans la liste ci-dessous), aidez-nous à les retrouver!

De gauche à droite, premier rang:

Craig Mundie (Microsoft), Maurice Lévy (Publicis, Sharon Sandberg (Facebook), Nicolas Sarkozy, ?, Sunil Bharti Mittal, Sun Yafang (Huawei)

De gauche à droite, deuxième rang:

Joe Schoendorf (Accel Partners), Thomas H. Glocer (Thomson Reuters), Klaus Schwab (World Economic Forum), Eric Schmidt (Google), Ben Verwaayen (Alcatel-Lucent), Jimmy Wales (Wikipedia), Arthur Sulzberger (New York Times), ?, Rupert Murdoch (NewsCorp)

De gauche à droite, troisième rang:

Michel de Rosen (Eutelsat), ?, Xavier Niel (Iliad/Free), Stéphane Richard (Orange), Paul Hermelin (Capgemini), John Donahoe (eBay), Yves de Talhouët (Hewlett-Packard)

Après Tristan Nitot, le représentant européen de la fondation Mozilla, Mitchell Baker, sa présidente au niveau mondial, a accepté de répondre à nos questions. Elle estime que l’e-G8 pose la question de la relation entre les gouvernements, les internautes et les citoyens, et s’interroge notamment sur les moyens de représenter “les deux milliards d’individus qui ne participent pas encore à Internet”.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

A quelques heures des recommandations finales, Bertrand de La Chapelle, membre du board of directors de l’ICANN (l’organisation chargée d’attribuer les adresses IP à travers le monde), nous a livré son impression sur ce mini-sommet d’Internet. Spécialiste des modes de dialogue entre les différents acteurs du secteur, il livre une analyse plutôt optimiste:

D’ordinaire, le G8 ne compte aucun acteur civil. Quelque part, cela rappelle l’initiative de 2000, quand le rassemblement des chefs d’Etat avait convié une “DOT Force” (Pour Digital Opportunity Task Force), composée d’un représentant de la société civile et d’un autre des entreprises, et ce pour chacun des huit participants. Il faut donc se poser la question en ces termes: quelles sont les enceintes pour parler d’Internet au niveau mondial, sur des sujets transfrontières, complexes et non-linéaires ? Avec cet événement, un espace de débat vient de se coller au G8, un laboratoire dans la lignée du Forum sur la gouvernance d’Internet. Les tensions sont normales, mais les gouvernements ont besoin d’inputs, de retours et de compétence technique.

Bertrand de La Chapelle tient par ailleurs à insister sur un point, la nécessité d’un dialogue “entre trois catégories d’acteurs, les gouvernements, les entreprises, et la société civile”. Une interpénétration qui échappera un peu à la “conversation” entre Maurice Lévy et Mark Zuckerberg, le créateur de Facebook, arrivé directement de l’Elysée, où Nicolas Sarkozy le recevait à l’heure du déjeuner.

Pendant 45 minutes, on a assisté à une confrontation assez molle, “un publicitaire interviewant un des plus gros supports publicitaires”, comme le dira non sans une pointe d’ironie un fin connaisseur du numérique français. Devant une audience assez largement fascinée par la réussite du petit génie d’Harvard, le tycoon même pas trentenaire a défendu son entreprise dans ce qu’on appellera une keynote gentiment interactive. Telle une rockstar en roue libre, le jeune milliardaire (27 ans) a délivré un discours bien rôdé sur les vertus du partage, sirotant son Gatorade entre deux questions du public qu’il ne comprenait pas toujours. T-shirt gris, jean, baskets, le cador de la Silicon Valley cultive son image, à l’image d’un Steve Jobs, qui ne sort jamais publiquement sans son pull à col roulé et ses New Balance. Mais au moment d’évoquer la régulation, Zuckerberg préfère botter en touche.

En guise de dessert, tous les sponsors – dont une partie ira jouer les messagers à Deauville – se sont retrouvés sur l’estrade, pour exposer leurs conclusions. Maurice Lévy a déploré le bilan de certaines discussions (“Je ne comprends pas vraiment cette phrase”), les opérateurs ont prêché pour leur paroisse (rarement en faveur de la neutralité), et Ben Verwaayen, le directeur général d’Alcatel-Lucent, a eu ce dernier éclair de lucidité :

Ici, nous nous sommes encore parlés à nous-mêmes.


:

- Andréa Fradin: @fradifrad
- Ophélia Noor: @noorchandler
- Olivier Tesquet: @oliviertesquet
- Guillaume Ledit: @leguillaume

Crédits photo: CC Ophélia Noor pour OWNI, illustration de Une et Bullshit Bingo CC Elsa Secco pour OWNI

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The future of news belongs to those who… kiss http://owni.fr/2010/07/03/the-future-of-news-belongs-to-those-who%e2%80%a6-kiss/ http://owni.fr/2010/07/03/the-future-of-news-belongs-to-those-who%e2%80%a6-kiss/#comments Sat, 03 Jul 2010 11:36:22 +0000 Adam Westbrook http://owni.fr/?p=21053 The traditional news organisations: the BBC, CNN, New York Times, the Guardian, Sky News – and all the others – have got a problem.

Up until recently I thought the problem was revenue and the lack thereof; but that will solve itself organically over time.

And then I realised they’ve got another problem:  it’s one they’ll never be able to solve – and it threatens their place in the future of journalism.

They’re too big.

Sounds strange doesn’t it (after all, size is usually good for a news organisation with a big remit). The insight comes from Clay Shirky, whose blog posts are rare, but always near revolutionary. He talks about the collapse of the great empires of the past: the Mayans, the Romans. They collapsed because they got too big, too complex and couldn’t adapt to a new world.

His modern case in point: the Times paywall. He interprets Rupert Murdoch’s justification for charging online content as this:

Web users will have to pay for what they watch and use, or else we will have to stop making content in the costly and complex way we have grown accustomed to making it. And we don’t know how to do that

In other words, News International is so big, so complex, so addicted to the exuberant and wasteful systems which it consumed in the 20th century, it just can’t change. So it has to charge customers to help sustain its lifestyle.

Shirky goes on:

In a bureaucracy, it’s easier to make a process more complex than to make it simpler, and easier to create a new burden than kill an old one… Some video still has to be complex to be valuable, but the logic of the old media ecoystem, where video had to be complex simply to be video, is broken

That last point about video is important. Think how many TV production companies are addicted to $20,000 cameras, big rigs, professional lighting, large crews and plush offices in the centre of major cities. They don’t know how to do anything different, and so they charge their clients thousands upon thousands to cover their secret addiction to luxury.

Video Journalism has been around as a cheap alternative to traditional TV news gathering since the 1980s. Why do all the big news organisations still send 2 or even 3 person crews to stories? Michael Rosenblum points out dryly, ABC News’ move to VJing should have been news in the 90s.

Bad times for them. Good times for the next generation of journalists and producers.

How to survive in the future of journalism

Keep It Simple, Stupid.


Next generation journalists have a big advantage: we’re not addicted to expensive gear, offices, full time employment or bureaucracy. We know we can do things quick, cheap and simple. We can get impressive results with DSLRs, open source software, a laptop and creative commons media. We’re not ashamed to interview someone on a FlipCam, or embed our video with Youtube.

Do not underestimate the advantage that gives us in the market.

Someone who gets it is media commentator and lecturer Jeff Jarvis. Here’s what he wrote for the Guardian, when the Times paywall was announced:

…in Murdoch’s folly, I see opportunity… As a teacher of entrepreneurial journalism at the City University of New York, I see openings for my students to compete with the dying relics by starting highly targeted, ruthlessly relevant new news businesses at incredibly low cost and low risk

And that’s precisely it. Go in lean, mean and ruthless and start tearing stuff up. But know this: if your career takes you into the fold of the giants, you too will become addicted to their opium. It’s a tough drug to get over. I’ve been lucky in some ways. I’ve only ever worked for tiny, struggling commercial outlets. I thought it sucked at the time, but it meant I always had to do things cheap, and quick – and I never got hooked on the luxurious journalism of the BBC or anyone else.

But the future is bright: here’s Clay Shirky to wrap it up:

It’s easy to see the ways in which collapse to simplicity wrecks the glories of old. But there is one compensating advantage for the people who escape the old system: when the ecosystem stops rewarding complexity, it is the people who figure out how to work simply in the present, rather than the people who mastered the complexities of the past, who get to say what happens in the future

This article was initially published on Adam’s blog

Image Credit CC FlickR Okinawa Soba

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http://owni.fr/2010/07/03/the-future-of-news-belongs-to-those-who%e2%80%a6-kiss/feed/ 19
L’empire bulldozer http://owni.fr/2010/05/28/lempire-bulldozer/ http://owni.fr/2010/05/28/lempire-bulldozer/#comments Fri, 28 May 2010 10:19:04 +0000 Alix Delarge http://owni.fr/?p=16798 Suite et fin de l’article “Google: Cours camarade, le vieux monde est derrière toi!”

La stratégie du bulldozer: où Google passe, rien ne repousse

Sur tous les grands enjeux du moment, l’offensive de Google se heurte aux résistances de l’ancien monde. La numérisation de l’ensemble du patrimoine papier mondial fait flipper les tenants de la culture à l’ancienne et surtout les auteurs ou leurs ayants droit, qui craignent à juste titre d’être dépecés. Les atteintes à la vie privée se multiplient [ND: À titre purement informatif, on se référera notamment à la phrase culte de Mark Zuckerberg (Facebook) : « La vie privée est une notion dépassée. »], comme on l’a vu avec les bugs à l’occasion du lancement de Google Buzz. Des voix s’élèvent pour critiquer la sacro-sainte pertinence du référencement : « Si Google ne fait que de la pertinence, il est obligé de perdre de l’argent », nous dit Renaud Chareyre.

Quant au dossier chinois, on a vu comment, dès qu’on touche à la géopolitique, Google tergiverse. D’abord en acceptant la censure de Pékin sous couvert du « Un peu de Google vaut mieux que pas de Google du tout », puis en jouant les effarouchés dès lors que des boîtes gmail ont été piratées par des affidés du régime. Enfin, les États commencent à en avoir assez de se faire dépouiller en assistant sans moufter au racket de l’évasion fiscale : « C’est comme si tu construisais une autoroute et que des types venaient y installer un péage pour leur compte », éclaire Distinguin.

Et de fait, sur tous ces sujets, on ne compte plus les procès auxquels est confrontée la firme californienne. En France, en Italie, en Grande-Bretagne, en Allemagne (où l’on réfléchit à rendre hors la loi Google Analytics, l’outil de décryptage hyper précis du trafic sur Internet), au Canada, et même aux États-Unis, où les auteurs ont compris que le premier accord signé avec Google était une grosse arnaque. Le roi ne vacille pas encore sur son trône. Mais le système de régulation tel qu’on le connaît n’a pas dit son dernier mot. Avec un peu de retard à l’allumage, la riposte n’en est qu’à ses prémices, et il s’en faudrait de peu pour qu’une action coordonnée des États ou une jurisprudence assassine n’entaille la carapace du Golgoth. Voilà qui oblige Google à jouer serré : un récent article du Monde Magazine qualifiait David Drummond, le directeur juridique de la firme, de « ministre des Affaires étrangères ». Alors à quand Google à l’ONU, avec siège permanent au Conseil de sécurité ?

D’autant que la « googlelisation » du monde trouve partout des points d’appui solides. En France, le think tank Renaissance numérique proclame dans sa déclaration de principes : « Beaucoup de piliers de notre société démocratique sont à adapter dans ce monde qui change. » Sous couvert de respect de la « citoyenneté numérique », c’est tout un pan des us et coutumes de l’ancien monde que les lobbyistes cherchent à mettre à bas. D’ailleurs, l’un des vice-présidents de cette très sérieuse association n’est autre qu’Olivier Esper, directeur des relations institutionnelles de Google France. De même, il existe des voix autorisées pour réfuter tout manichéisme sur le dossier de la numérisation du patrimoine littéraire.

Bruno Racine, réélu à la tête de la Bibliothèque nationale de France, et qui vient de publier Google et le nouveau monde, affirmait dans un entretien au Point : « La numérisation n’est pas simplement la conversion du livre en numérique, c’est aussi une révolution des usages avec une circulation de la pensée sous de nouvelles formes. » Racine veut tenir compte de la réalité plutôt que de perdre son temps en vaines incantations. Sans doute vise-t-il ici son éminent prédécesseur, Jean-Noël Jeanneney, farouchement opposé à l’offensive de Google et partisan, lui, des projets français et européens de bibliothèque numérique Europeana et Gallica.

Enfin, les utilisateurs de Google demeurent ses meilleurs défenseurs. Certes, les règles se sont complexifiées et opacifiées, l’info est cloisonnée. Certes, avec Google Buzz, « Google s’est fait attraper sur sa propre réputation de service public », note Distinguin. Mais, ajoute-t-il, « Google est entré à l’âge adulte. Il est là pour durer ». Et l’on peut toujours compter sur ce vieux briscard d’Éric Schmidt pour rassurer son monde :

« Si nos utilisateurs ne sont pas contents, c’est la mort de l’entreprise. Donc nous sommes obligés de trouver des solutions. »

Jusqu’à quand ?

Les deux ennemis de Google

L’adage est archiconnu : plus vous êtes puissant, plus vous accumulez les ennemis. Le premier d’entre eux se nomme Apple. En s’attaquant au marché de la téléphonie mobile, Google s’est attiré les foudres du Godfather Steve Jobs. Ce dernier aurait déclaré à des collaborateurs : « Ne vous méprenez pas : ils veulent clairement tuer l’iPhone. Mais nous ne les laisserons pas faire. » Avant d’ajouter, acerbe : « Don’t be evil, c’est de la merde. »

La baston annoncée entre les deux géants semble en effet inévitable depuis que Google a décidé de marcher sur les plates-bandes de la Pomme. En riposte, Apple menace de retirer la barre de recherche automatique Google de son navigateur Safari. De plus, Apple vient d’être désigné par le magazine Fortune comme la « société la plus admirée au monde », loin devant son dauphin… Google ! « Il est quasi inévitable que Google et Apple se mettent sur la gueule », prophétise Distinguin. Qui nous livre le fond de sa pensée : « Google répond à tous les besoins, sauf à celui du divertissement. Même YouTube, propriété de Google, est dans une logique de “search” plus que de média. Apple fabrique des produits charnels que l’on peut toucher, presque caresser. Et payants ! » La guerre s’annonce épique. D’un côté le Don’t be evil de Google, de l’autre la transgression d’Apple, le retour du refoulé. Un réveil du clivage droite/gauche ? L’image ne manque pas de piquant.

Mais le seul, le vrai, le pire ennemi de Google, n’est autre que… Google lui-même.

Un empire meurt quand il dépense trop de temps, d’énergie et d’argent à sa propre conservation. Même quand il s’agit de soft power. D’où l’obligation de fuite en avant perpétuelle de Page et Brin, pour qui tout retour en arrière ou même toute stagnation serait fatale. Les risques d’auto-étouffement et d’épuisement guettent. Le poids de la bureaucratie et des procédures oblige Google à embaucher toujours plus, à innover plus, investir plus, chasser le temps perdu avec acharnement.

Parvenu à l’âge adulte, le Léviathan Google peut finir par ressembler à son pire cauchemar : une structure boursouflée, lente à réagir, lacérée par une myriade de petits adversaires mobiles et voraces. Tel l’Empire romain, il faut sans cesse calmer les menaces de sécession à l’autre bout du vaste territoire, où des populations assimilées à la va-vite fomentent la rébellion. « David devenu Goliath, son destin est de décevoir », glisse Distinguin.

Jeff Jarvis lui-même, thuriféraire du génial modèle Google, n’hésite pas à formuler les risques qu’encourrait un Google victime de son succès :

« Aussi difficile à imaginer que ce soit, Google pourrait échouer. Il pourrait grossir de manière trop désordonnée pour fonctionner efficacement (…). Google pourrait imposer, en se développant, une domination telle que les régulateurs publics tenteraient de l’arrêter (…) Google pourrait perdre notre confiance dès lors qu’il utiliserait à tort des données personnelles qu’il possède à notre sujet… »

Oui, tout empire est mortel. Même l’empire du bien.

Article publié dans le magazine Usbek & Rica, disponible à partir du 3 juin

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Crédit Photo CC Flickr: Missha.

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Pour une charte des droits sur Internet (Jeff Jarvis) http://owni.fr/2010/03/30/pour-une-charte-des-droits-sur-internet-jeff-jarvis/ http://owni.fr/2010/03/30/pour-une-charte-des-droits-sur-internet-jeff-jarvis/#comments Tue, 30 Mar 2010 17:56:33 +0000 Benoit Raphaël http://owni.fr/?p=11223 739496-904681

Je relaie ici la proposition de Jeff Jarvis (auteur de “What Would Google Do“) de rédiger, à l’instar de la charte des droits de l’homme, une “charte des droits dans le cyberespace“.

Sa proposition est évidemment à discuter et à enrichir. Mais l’inscription d’une telle charte à l’Onu par exemple, permettrait d’installer un certain nombre de réalités. Et de faire comprendre qu’Internet n’étant pas juste un média, mais un accès à un réseau d’échanges d’informations, d’idées et de contenus, la protection de l’accès à ce réseau est devenue indispensable.
Pas très à la mode, ça, en ces temps troublés d’Hadopi et d’Acta.

Voici les propositions de Jeff, et mes commentaires:

1- Nous avons le droit de nous connecter

“C’est un préalable et une condition incontournable au principe de liberté d’expression: avant de pouvoir nous exprimer, nous devons pouvoir nous connecter.
Hillary Clinton définit ce droit comme “l’idée que les gouvernements ne devraient pas empêcher les citoyens de se connecter à Internet, aux sites, ou entre eux.”

En France, on voit que ce droit est sensiblement remis en cause depuis la loi Hadopi qui prévoit de couper l’accès à Internet aux internautes qui auront téléchargé illégalement des contenus. Couper Internet, c’est couper l’accès à l’information. C’est comme couper l’eau. Ajout (merci Authueil) : c’est d’ailleurs ce qu’avait exprimé le 10/06/09 le Conseil constitutionnel saisi après le vote de la loi Hadopi 1, reconnaissant ce droit fondamental (assimilé au droit à la liberté d’expression et de communication).
A l’aune de la reconnaissance de l’accès à Internet comme un droit, cette mesure sévère pose toujours la question de la proportion entre la sanction et l’infraction (si tant est qu’on ne discute pas la caractérisation même de l’infraction: pirater ou partager?).

2- Nous avons le droit de nous exprimer

“Personne ne doit pouvoir léser notre liberté d’expression. Les contraintes à cette dernière doivent être limitées au minimum.”

La question pouvant être celle-ci : les canaux de diffusion de l’info se rapprochant de plus en plus des mécanismes du peer-to-peer (d’internaute à internaute vs diffusion de masse), du privé-public, le principe de neutralité du Net doit-il nous inciter à donner plus de souplesse aux conversations sur le réseau que n’en donnent les médias ? Ou pas, tout étant public donc soumis aux mêmes règles de publication ? Ou alors, a minima, devons-nous mettre en place des règles de publication préalables à toute expression libre (une connection préalable à un forum fermé par exemple permettrait de passer de la sphère publique au “privé collectif”…) ? Ou bien doit-on tout laisser ouvert et mettre en place une charte de balisage, comme je le proposais dans mon dernier post ?

3- Nous avons le droit de nous exprimer dans nos langues.

“La domination de la langue anglaise s’est estompée au fil de l’arrivée de nouveaux langages sur le Net. Ce qui est une bonne chose. À condition que, dans cet Internet polyglotte, nous puissions bâtir des ponts entre les langues. Nous voulons parler dans nos propres langues, mais aussi nous parler entre nous.”

C’est l’un des grands enjeux de ces prochaines années. Et un levier de développement non négligeable des médias Internet notamment, dont les modèles économiques souffrent de l’étroitesse des marchés nationaux. De nouvelles technologies permettent désormais de traduire simultanément des vidéos (en analysant le texte) dans plusieurs langues. Reste à améliorer les traductions en temps réel, un peu comme cela se pratique dans les congrès, le web étant une sorte de conférence transnationale. Pour cela, il faudra s’appuyer sur les algorithmes et les communautés.

4- Nous avons le droit de nous assembler

“L’Internet nous permet de nous réunir sans passer par des organisations et de collaborer. Cette possibilité est menacée par certains régimes, autant que la liberté d’expression.”

C’est une des particularité d’Internet : la mise en réseau simultanée des données et des individus a ringardisé le mode d’organisation des associations loi 1901, jusqu’aux traditionnelles manifestations dans la rue. Plus liquides, ces capacités de réunion offertes par Internet sont à la fois plus puissantes (parce que diffuses et spontanées), mais aussi plus fragiles (moins organisées).

5- Nous avons le droit d’agir

“Ces premiers articles sont une suite : nous nous connectons pour nous exprimer et nous assembler, et nous nous assemblons pour agir, et c’est comme cela que nous allons changer le monde. Pas seulement mettre en avant les problèmes, mais se donner les moyens de les régler. Voilà ce qui menace les institutions qui voudront nous stopper.”

6- Nous avons le droit de contrôler nos données

“Vous devez pouvoir accéder aux données vous concernant. Ce qui vous appartient vous appartient. Nous voulons qu’Internet opère comme un principe de portabilité, ainsi vos informations et vos créations ne seront pas prisonnières d’un service (privé) ou d’un gouvernement, ainsi vous garderez le contrôle. Sans oublier que quand le contrôle est donné à quelqu’un, il est retiré à quelqu’un d’autre. Le diable se cache dans ces détails. Ce principe fait allusion au copyright et à ses lois, qui définissent et limitent le contrôle ou la création. Ce principe pose également la question de savoir dans quelle mesure la sagesse du peuple appartient au peuple…”

La question du contrôle des données personnelles est plus sensible aux États-Unis qu’en France où la loi “Informatique et liberté” protège les citoyens. En partie, seulement, face à la mondialisation des services sur Internet et à la complexification des échanges sur le réseau.
Plus sensible : la protection et le contrôle de nos créations. De quoi sommes nous propriétaires, que pouvons nous contrôler dans un univers d’échanges et de work in progress, où tout contenu s’enrichit de l’apport des autres ?

7- Nous avons le droit à notre propre identité

“Ce n’est pas aussi simple qu’un nom. Notre identité numérique est faite de nos noms, adresses, discours, créations, actions, connections. Notez également que dans les régimes répressifs, maintenir l’anonymat (c’est-à-dire cacher son identité) est une nécessité. Ainsi l’anonymat, avec tous ses défauts, son passif et ses trolls, doit-il également être protégé en ligne pour protéger le dissident et ceux qui dénoncent les pratiques illégales ou immorales dans leurs entreprises ou institutions. Notez enfin que ces deux articles – contrôle de nos données et de nos identités – constituent un droit à l’intimité.”

Ces deux articles font référence à la protection mais surtout au contrôle de nos données, de notre identité, de notre vie privée. Ce qui, dans un monde googlisé et facebookisé est de plus en plus délicat. Le Net est transparent, infiniment transparent, ce qui est une bonne chose pour la liberté des citoyens face aux institutions, et pour l’accès à la connaissance et à l’information, donc au pouvoir, donc à la démocratie. Mais ce peut être également terrible pour l’individu s’il n’a pas les moyens de se protéger. Toutes ces questions sont loin d’être réglées. Le risque étant qu’au nom de la protection de l’intimité, on restreigne le droit à l’information. Passionnant débat.

8- Ce qui est public est un bien public

“L’Internet est public. En effet, c’est un espace public (plus qu’un medium). Dans notre précipitation à vouloir protéger l’intimité, nous devons faire attention à ne pas restreindre la définition de ce qui est public. Ce qui est public appartient au public. Rendre privé ou secret ce qui est public sert la corruption et la tyrannie.”

C’est tout l’enjeu de la révolution qu’apporte Internet, en bousculant les frontières entre le public et le privé.
Dans quelle mesure la vie privée des hommes politiques, comme leur état de santé ou leurs liaisons, sert-elle l’information ? La question est loin d’être tranchée.

C’est également tout le débat en France sur l’ouverture des bases de données publiques aux citoyens, dont pourraient s’emparer les médias pour développer ce qu’on appelle le datajournalisme. Contrairement aux États-Unis, les données sont quasi-inaccessibles en France, ce qui constitue pour beaucoup une entrave au droit à l’information.

Mais, au-delà, cette question concerne également celle de la valeur de l’information, de sa propriété, et de ce que peuvent en faire les citoyens. À partir du moment où une information a été publiée, dans quelle mesure puis-je la reproduire pour la partager ? La pratique du partage fait partie de l’ADN d’Internet, elle bouleverse les lois du copyright. Quand les majors et les médias parlent de “copie illégale”, les internautes parlent de partage.
La généralisation du “RT” (rendu populaire par Twitter : re-tweeter, c’est à dire re-bloguer, reprendre l’info à l’identique pour la partager tout en la sourçant) va dans le sens d’une indispensable libéralisation du partage de l’information. Ce qui pose la question de la valeur de l’info et de qui la finance, si tout le monde peut la partager gratuitement.

9- L’Internet doit être construit et piloté de façon ouverte

Il doit continuer d’être construit et opéré sur la base de standards ouverts (comme HTML, PHP…). Il ne doit pas être contrôlé par aucune entreprise ou gouvernement. Il ne doit pas être taxé. C’est l’ouverture de l’Internet qui lui donne sa liberté. Et c’est cette liberté qui définit l’Internet.

Internet=liberté. Liberté=Internet. Internet est une précieuse découverte, un incroyable outil d’émancipation et de développement qui doit continuer d’être préservé.
Si les dérives que cette liberté entraîne parfois (et auto-corrige souvent) appellent à une prise de conscience collective, elles ne doivent pas justifier la prise de contrôle des échanges digitaux par un gouvernement ou un lobby. La force d’Internet est d’être un réseau, un nouvel espace, qui échappe aux individus et aux personnes morales. Son déploiement à grande vitesse pose donc continuellement la question du contrôle. Pas seulement du Net (pour les gouvernements et les entreprises), mais aussi de notre propre liberté (pour les individus).

C’est pour cela qu’avant de commencer à parler de devoirs, il faut commencer par les droits. C’est toute la vertu de la proposition de Jeff Jarvis.
Source : “A Bill of Rights in Cyberspace” (Buzzmachine)

Billet initialement publié sur Demain tous journalistes ?

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http://owni.fr/2010/03/30/pour-une-charte-des-droits-sur-internet-jeff-jarvis/feed/ 7
Couve, Lapoix, Raphaël: le journalisme entrepreneurial en débat http://owni.fr/2010/03/12/couve-lapoix-raphael-journalisme-journaliste-entrepreneur-debat/ http://owni.fr/2010/03/12/couve-lapoix-raphael-journalisme-journaliste-entrepreneur-debat/#comments Fri, 12 Mar 2010 17:23:16 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=9934 Sylvain Lapoix, Philippe Couve et Benoît Raphaël : quelles voies pour le journalisme à l'heure du mediastorm ?

Sylvain Lapoix, Philippe Couve et Benoît Raphaël : quelles voies pour le journalisme à l'heure du mediastorm ?

Benoît Raphaël, Philippe Couve, Sylvain Lapoix : trois journalistes aux profils variés qui ont en commun d’avoir renoncé au statut de salarié d’un média national majeur pour se lancer en indépendant. On parle parfois d’eux comme de “journaliste-entrepreneur”, terme à la mode aux contours flous. Tenter de le définir , c’est nécessairement en venir à la douloureuse question du business model de l’information, secteur en pleine crise. Quitter la romantique image d’Épinal du métier pour mettre les mains dans le cambouis pragmatique de l’économie.
À l’occasion d’une interview croisée à la soucoupe, ils ont échangé leur point de vue sur cette notion.

Journaliste-entrepreneur, est-ce une bonne façon de vous définir ?

Benoît Raphaël : Tout dépend de ce que l’on entend par entrepreneur, si c’est un journaliste qui devient entrepreneur de son propre destin, oui pourquoi pas. J’ai toujours été entrepreneur dans les entreprises dans lesquelles j’ai travaillé. Pour moi, un entrepreneur est une personne qui a une vision d’entreprise dans le média et qui essaye de mener des projets et évidemment de trouver le modèle qui va avec. C’est plutôt un état d’esprit qu’un statut, qui a toujours existé dans les entreprises.

benoit

D'abord cadre dans la PQR, Benoît Raphaël a co-fondé et dirigé la rédaction du Post.fr, site communautaire et participatif lancé en 2007 par Le Monde interactif. Il vient de démissioner de ce post pour explorer ailleurs le journalisme digital et ses modèles économiques. Photo Pierre Meunié.

Après, l’expression “journaliste-entrepreneur” vient de Jeff Jarvis, qui estime que le journaliste doit aussi devenir entrepreneur. Du fait de la fragmentation des contenus et des marques, le journaliste joue sur ce qu’on appelle le personal branding, sa propre marque, il se prend en charge lui-même. Mais il peut très bien le faire au sein d’un média.

Il doit aussi s’intéresser à la technologie, au marketing, à son propre marketing, quelque part se considérer comme un propre média dans le média ou comme un propre média dans le réseau. Comme il s’intéresse à son entreprise, il s’interroge sur son modèle économique. C’est plutôt une évolution par rapport à un environnement, qui fait qu’un journaliste naturellement entrepreneur va se sentir plus à l’aise dans cette démarche.
De ce point de vue, on peut parler de journaliste-entrepreneur. Mais ce n’est pas forcément quelqu’un qui crée une entreprise.

Je ne suis pas producteur d’information actuellement , à part mon blog, qui n’est pas vraiment un média très vaillant. Je ne me considère donc pas vraiment comme un journaliste maintenant.

Par contre, je travaille sur mon personal branding, mais c’est plus dans l’idée de monter des projets. Innover, tout le monde peut, le tout c’est de mettre en pratique. Jeff Jarvis a d’excellentes idées mais il faut passer à la réalisation ensuite.

Diplômé de l'IPJ en 2007, Sylvain Lapoix a travaillé à la rédaction du site de l'hebdomadaire Marianne de décembre 2006 à décembre 2009, où il couvrait la politique et les médias. Légalement, il est désormais chômeur, travailleur occasionnel. Il est à l'origine du Djin, un collectif informel "pour renouveler, développer et défendre le journalisme web". Photo Pierre Meunié

Diplômé de l'IPJ en 2007, Sylvain Lapoix a travaillé à la rédaction du site de l'hebdomadaire Marianne de décembre 2006 à décembre 2009, où il couvrait la politique et les médias. Légalement, il est désormais chômeur, travailleur occasionnel. Il est aussi à l'origine du Djin, un collectif "pour renouveler, développer et défendre le journalisme web". Photo Pierre Meunié.

Sylvain Lapoix : Dans le mot “journaliste-entrepreneur”, ce qui me gêne et me fait peur d’un point de vue social, c’est que cela me rappelle auto-entrepreneur. Faire porter la charge patronale au salarié, c’est dangereux. Si c’est temporaire et que cela donne lieu à une transformation, ça va, mais il ne faut pas que cela s’installe.

En revanche, l’idée que le journaliste soit sa propre entreprise dans le sens où le définissait Benoît Raphaël, avec une conscience de son modèle économique, une prise en main de ses outils de diffusion, le développement d’une marque, donc un marketing, au sens basique du terme, ça me parle déjà plus.
Moi, je suis producteur, et je veux absolument le rester. Cela m’intéresse de participer à des projets, je me définirais donc plus comme un journaliste de projet. Ma collaboration avec Marianne2.fr a été très fructueuse, mais on m’a proposé beaucoup de projets à côté.

Et le fait est qu’avec les technologies qui se développent, avec les demandes qui évoluent et aussi avec les opportunités qui se profilent, je me place plus dans cette posture, c’est-à-dire qu’on collabore ponctuellement sur une idée, pour développer un environnement d’information, un live-blogging, un live-twitting…

Philippe Couve vient de quitter RFI, à la faveur d'un plan social, radio où il a été successivement présentateur, grand reporter, co-chef du service Internet puis animateur de l’Atelier des médias, l’une des premières web-émissions participatives. Actuellement en préavis, il suit une formation qui l'aidera à choisir son statut. Photo Pierre Meunié.

Philippe Couve vient de quitter RFI, à la faveur d'un plan social, radio où il a été successivement présentateur, grand reporter, co-chef du service Internet puis animateur de l’Atelier des médias, l’une des premières web-émissions participatives. Actuellement en préavis, il suit une formation qui l'aidera à choisir son statut. Photo Pierre Meunié.

Philippe Couve :  Je n’ai pas le même positionnement. Aujourd’hui, le Washington Post gagne de l’argent parce qu’il fait de la formation. Avant, les journaux gagnaient de l’argent car ils faisaient des petites annonces. Aujourd’hui, il faut absolument élargir le bac à sable, car si on reste dans le bac à sable du contenu, ça ne marche pas. Vous-même (Owni.fr ndlr), vous développez un média dont l’économie est ailleurs.

Il ne faut plus réfléchir uniquement à “quels contenus je produis pour quel public ?”, mais “qu’est-ce que je sais faire, qu’est-ce que je peux valoriser là-dedans ?” Il faut exploiter nos compétences de journaliste dans d’autres secteurs. Il peut s’agir de la formation, par exemple ou de l’innovation. En tant que médias, nous savons répondre à de nombreuses questions : qu’est-ce que publier, qu’est-ce que c’est une stratégie éditoriale, comment la mettre en oeuvre, comment assumer ses responsabilités juridiques par rapport à ça, comment exister dans les réseaux sociaux, etc. Or beaucoup de personnes se retrouvent éditeur sur le web et n’ont absolument pas la compétence, c’est là que le journaliste intervient aussi. C’est là-dedans qu’il faut trouver un équilibre.

Benoît Raphaël : La diversification existe déjà ailleurs, comme dans la PQR, faire des événements, organiser des voyages, des petites annonces, etc.
Le but du jeu reste de trouver le modèle économique de l’information, on sait qu’elle coûte cher, c’est aussi le sel de la démocratie, même si ça parait démagogique de le dire. Le journalisme n’est pas là pour gagner de l’argent, sinon il faut travailler chez Meetic, des sites de jeu. Il faut élaborer des modèles qui permettent de supporter une activité d’information, qui fait à la fois ta marque et porte des valeurs. Et d’ailleurs cette marque de qualité va te permettre de vendre d’autres choses ailleurs.
Le but d’un média, sauf certains médias verticaux, a toujours été de faire circuler l’information et de nourrir ça. Il faut vraiment que l’activité participe d’un écosystème,
la formation, c’est intéressant mais cela prend du temps, il ne faut pas que ça mobilise les journalistes au détriment de l’information.

Sylvain Lapoix.:  Cela me pose un problème déontologique de gagner ma vie en formant des étudiants, en me disant que ce métier est mort. S’il faut travailler sur les marques, c’est aussi sur la marque des journalistes, je prêche pour ma paroisse bien sûr. Le premier boulot des journalistes, c’est de raconter des histoires. Je ne dis pas que c’est mal d’avoir des activités parallèles, la question que je me pose, c’est moins comment financer de l’info qui se produit à perte que pourquoi les gens à un moment ont cessé de la payer. Où est le dérèglement dans le coût de l’information ? Ce n’est pas si cher que ça.

Philippe Couve : Contrairement à toi, je pense que le vieux modèle est cassé.

Benoît Raphaël : Il n’est pas cassé, il est en mutation, il faut le faire évoluer, on est très romantique en France, on a toujours des visions. Il y a un modèle pour le reportage de fond, Florence Aubenas sort un livre qui est merveilleux, XXI est un modèle qui fonctionne bien aussi. Le problème n’est pas “comment fait le journaliste pour s’en sortir ?” mais “comment fait le journalisme dans son ensemble pour continuer à perdurer ?”. Je pense qu’il y a une information de flux, au quotidien, chaude, avec de la valeur ajoutée, qui est nécessaire, et une information de fond, plus froide. Pour la fabriquer, il faut un journalisme, et le journaliste est dedans, il peut s’agir de journalistes-entrepreneurs qui vont sortir des informations, ce peut être aussi des blogueurs.
Comment ce nouvel écosystème, en formation, se poursuit ? Cela passe par du journalisme entrepreunarial mais aussi par le financement des blogueurs, parce que certains font un vrai travail d’éclairage tous les jours, et parfois d’information.

En quoi le journaliste-entrepreneur se différencie du free-lance ?

Philippe Couve : À un moment, il faut assumer le risque économique de ce qu’on monte, ça change fondamentalement la perspective.

Benoît Raphaël : Le journaliste ne doit pas non plus être tout le temps devant le chiffre d’affaires qu’il ramène.

Philippe Couve : C’est ta contrainte, mais c’est aussi ta liberté. Quand on entend sans cesse “non, on n’a pas les moyens de faire ça ” et que tu te retrouves dans ton coin et qu’on te dit “débrouille toi avec rien”, tu réponds, “file moi les comptes, on va peut-être arbitrer”.

Benoît Raphaël : C’est comme une maison d’édition qui va financer des best-sellers pour financer d’autres choses qui correspondent aussi à ses valeurs, et ce n’est pas bête de procéder ainsi. Le problème, c’est que l’information s’est fragmentée, ce qui détruit ce modèle, et que du média compacté et du package, tu arrives sur un réseau, c’est au journaliste d’arriver à s’organiser ou d’organiser des réseaux qui permettent peut-être de trouver ces équilibres-là.

Comment portez-vous concrètement votre projet ?

Philippe Couve : Aujourd’hui, je suis en préavis après avoir quitter RFI et je suis une formation de créateur d’entreprise dont je rends compte sur www.journaliste-entrepreneur.com et qui va me conduire à créer ma société. Dans quels délais ? Je l’ignore encore.
Benoît Raphaël : C’est des rencontres et du travail.
Sylvain Lapoix : Pareil !

La crise des médias est-elle une opportunité ?

Philippe Couve : La crise des médias, comme toute crise, n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle est mauvaise pour l’ordre ancien et bonne pour le nouvel équilibre qui sera trouvé. Du point de vue des individus, elle permet de rebattre les cartes. Il y aura ceux qui resteront prisonniers de l’ordre ancien, ceux qui parviendront à s’adapter et ceux qui participeront à l’établissement des règles du nouvel équilibre.
C’est comme avant. Il y a ceux qui ne s’en sortent pas, ceux qui surnagent et ceux qui prospèrent. La différence, c’est que la crise offre l’opportunité de changer de catégorie.

Quels conseils donneriez-vous à une journaliste qui souhaite être à son compte ?

Benoît Raphaël : Bosser dans une rédaction, c’est une aventure extraordinaire, tu apprends beaucoup, il faut passer par là. Ce n’est pas forcément une rédaction traditionnelle, on peut être journaliste-entrepreneur en réseau, dans une rédaction. Le média, même s’il est fragmenté aujourd’hui, même s’il est en réseau, c’est une aventure qui est humaine avant tout.

Maintenant, j’ai la chance de pouvoir choisir entre différentes voies. À ce stade de mon évolution, je n’ai pas spécialement envie d’être journaliste-entrepreneur au sens où nous l’avons évoqué car cela ne veut pas dire grand chose pour moi : je suis avant tout un homme de projets, ce qui me passionne, c’est de faire avancer les choses. Nous avons été iconoclastes et défricheur au Post, provoquant le débat , et cela me permet aujourd’hui de continuer à être légitime dans ce domaine. Maintenant j’ai envie de travailler sur des médias qui font avancer les idées. Je me vois plutôt comme un journaliste, en tout cas un professionnel de l’information aujourd’hui, qui dans le domaine de l’information digitale, va essayer de continuer de construire.
Je pense que les vieux médias n’ont pas la solution, c’est très difficile de faire bouger les choses dans un grand groupe, j’ai envie de le faire ailleurs, pour voir, pour avancer plus vite. J’ai essayé de le faire dans un grand média, c’est très compliqué, même si c’est passionnant. J’ai plutôt envie de partir sur une aventure humaine.

Sylvain Lapoix : Je suis d’accord avec Benoît et Philippe, il faut passer par une rédaction, pour voir ce qu’il y à faire et comment ça fonctionne, d’un point de vue humain, entrepreunarial. Avant de démonter une voiture pour la remonter, il faut savoir comment elle est faite avant.
Un conseil que je donnerais à tous mes étudiants en journalisme : écrivez, sur un blog, sur Twitter, n’importe où, mais écrivez, apprenez à communiquer avec les autres, ayez une culture de l’échange, discutez, pour apprendre à parler avec les autres et à leur faire comprendre des idées, et après intéressez-vous à la technique.

une-rencontre

Il est impossible (légalement) d’être journaliste et auto-entrepreneur. Dans un contexte de mutation, si l’on veut être un journaliste-entrepreneur, au sens “mettre en pratique ces idées innovantes”, et sauf à disposer d’un beau matelas d’économies, ce qui est rarement le cas d’un junior, c’est pourtant une solution qui semble logique. “Il y aura sans doutes moitié moins de cartes de presse d’ici cinq ans.” a prédit au cours de la discussion Philippe Couve. Tout à fait d’accord. Et qu’en parallèle une armée de journaliste auto-entrepreneur – d’autojournalistes entreprenants ? – se lève et construise l’écosystème de l’information de demain ne nous surprendrait guère ; nous n’aspirons d’ailleurs pas à moins /-)

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