« A l’image des plus grandes figures de scélérat inventées par la fiction, le plasmodium est un ennemi complexe, brillant et mystérieux qui résiste à toutes nos tentatives de soumission »
commentait le New York Times à la suite de la lecture du dernier livre de Sonia Shah, dont la revue de presse est impressionnante. L’ouvrage rédigé par la journaliste américaine, « The Fever: How Malaria Has Ruled Humankind for 500,000 Years », revisite ainsi nombre de lieux hantés par le parasite vecteur de la malaria : canal de Panama, Vietnam, USA, Inde, Italie…
Millénaire, la malaria serait ainsi responsable de la moitié des morts humaines depuis l’âge de pierre. Son existence antédiluvienne se traduit d’ailleurs, chez un humain sur quatorze, par la présence de gènes de défense. De tous les lieux évoqués dans l’ouvrage, l’Italie est sans doute le plus fascinant.
Alors même que le fléau a contribué au déclin de l’empire romain au moment de la déforestation massive et de la multiplication des maremmes, l’exposition chronique aux moustiques hôtes du plasmodium a conféré une certaine immunité aux citoyens de la Rome antique, et in extenso, un avantage contre les envahisseurs venus du nord.
Des siècles plus tard, en 1944, l’armée allemande en fuite déclencha volontairement une épidémie de malaria en Italie, afin de ralentir l’avancée des forces alliées. Plus de 100 000 personnes furent ainsi infectées, rapporte Dennis Rosen dans une critique du livre publiée par le Boston Globe. Pour ce pédiatre,
« Ce livre perspicace explore le combat de l’homme contre la malaria d’un point de vue scientifique, relativement détaillé et sans surcharge, mais également selon une optique sociologique et anthropologique, qui se révèle la véritable force de ce travail ».
Le premier remède pour lutter contre le « mal aria », littéralement le « mauvais air », est apparu au deuxième siècle chez les romains; il s’agit d’une amulette sur laquelle est inscrit « Abracadabra »… Sonia Shah, qui recense les techniques sanitaires utilisées tout au long de l’histoire, manifeste ainsi combien chacune d’entre elle a suscité un espoir s’apparentant à l’ordre du magique, ou de la « solution miracle », mais au final décevant.
À Bornéo, le DDT éradiqua les chats en remontant la chaîne alimentaire par le biais des lézards, prédateurs naturels des insectes. S’ensuivit une explosion de la population de rats. Alors que de telles conséquences provoquèrent une certaine incompréhension entre les habitants de l’île et l’OMS, la solution envisagée fut de larguer… des chats ! Quant aux médicaments, des souches de plasmodium résistantes apparaissent, y compris pour l’artémisinine, le dernier fleuron de l’industrie pharmaceutique.
Autre méthode : les moustiquaires imprégnées d’insecticide. Mais celles-ci ne sont pas toujours suspendues dans les maisons… elles sont parfois utilisées comme filets de pêche, quand elle ne sont pas soupçonnées de rendre stérile. Selon une étude publiée en 2003, moins de 17 % des Africains ayant reçu des moustiquaires les utiliseraient pour se protéger.
Comme le relève Dennis Rosen,
« La pratique de la médecine est plus qu’une simple application des connaissances scientifiques. Il s’agit aussi d’un art, et pour atteindre leur but, les docteurs et autres agents sanitaires doivent être attentifs aux croyances personnelles, aux standards culturels, aux normes sociales et religieuses, aux états émotionnels et aux bagages éducatifs de ceux qu’ils tentent d’aider ».
Malgré l’essor des fonds internationaux dédiés à la lutte, qui sont passés de 100 millions de dollars en 1998 à 2 milliards, Sonia Shah assène que la malaria risque de s’éclipser pour mieux resurgir, à l’image du schéma suivi dans les années 60. D’autant plus que de récentes découvertes ont montré que certaines espèces de singes sont également contaminés par le parasite, et que
« certains parasites paludiques jusqu’ici considérés comme exclusifs des singes sont souvent repérables dans le sang humain »
indique -t-elle dans Le Monde Diplomatique. Il se pourrait donc que le plasmodium bénéficie d’un réservoir colossal.
« Chacun -politiciens, mécènes, instituts de recherche, groupes de lobby et industrie pharmaceutique a son propre agenda en ce qui concerne la malaria »
martèle Martin de Smet, un responsable de Médecin Sans Frontière, dans le New Scientist. Afin de combattre une maladie qui touche encore près de 300 millions de personnes chaque année, et qui provoque un million de morts, Sonia Shah pose l’absolue nécessité de combiner intelligemment les moyens de lutte sur le long terme, de dépasser le seul cadre de la santé – au travers de programmes d’aménagement du territoire par exemple – et de favoriser l’autonomie des pays concernés.
« Ce rôle des pays endémiques dans la bataille quotidienne contre la malaria est un chapitre manquant du travail de Shah »
objecte Awa-Marie Coll-Seck, une ex-ministre sénégalaise de la santé, dans Nature. Affirmant que les états concernés sont bien partie prenante des programmes de lutte, et que les solutions mises en place sont dorénavant adaptées aux spécificités locales de la population ou de l’environnement, la directrice de Roll Back Malaria Partnership -un partenariat international- salue malgré tout la publication de The Fever, qui devrait selon elle contribuer à impliquer de « nouveaux partenaires » dans la lutte contre la malaria.
>> Billet initialement publié sur Pris(m)e de tête
>> Image CC Flickr : tj scenes et pdxjmorris
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