Le petit Kevin attend son moteur de recherche

Le 8 juin 2010

Les moteurs de recherche tendent à négliger cruellement les jeunes générations dans leur stratégie de développement. Sophie Mateo, étudiante en marketing revient sur ce manque d'alternatives et donne quelques pistes pour les améliorer.

Gros consommateurs d’Internet, les enfants sont fréquemment amenés à faire des recherches sur le web. Pour le travail autant que pour leur plaisir, la recherche d’information est leur deuxième motivation. Pourtant, ils sont souvent démunis, faute d’outil adapté. Se basant sur un article de l’Américaine Hilary Hutchinson paru en 2009 sur la façon dont les enfants font leurs recherches sur Internet avec les interfaces de mots-clés, Sophie Mateo, étudiante en MBA Marketing et Commerce sur Internet, est arrivée aux mêmes conclusions en se penchant sur les pratiques de petits Français.

Chercheuse à l’université de Maryland, Hilary Hutchinson avait mené son étude en partenariat avec Google, s’appuyant sur un panel de 12 enfants de 7 à 11 ans. Elle s’était focalisée sur Google.com. En bref, voici ce qui ressort de son étude, je reprends là la synthèse qu’en a fait Sophie Mateo dans son mémoire :

- Les enfants pensent que ’si quelque chose n’est pas sur Google, c’est nulle part’.

- Les enfants de moins de 8 ans sont frustrés face aux messages d’erreurs, qui les déroutent, les bloquent dans leur navigation.

- Les enfants utilisent plus le langage naturel que le langage par mots-clés : ils ont tendance à privilégier une requête d’ordre sémantique.

- Les enfants ne vont jamais en deuxième page de résultat et ne regardent généralement pas plus bas que les cinq premiers résultats.

- Les enfants rêvent d’une recherche et d’une navigation ‘magique’, qui leur permette par exemple d’obtenir un seul résultat (le meilleur), de retranscrire les requêtes vocalement.

Des enfants peu familiers des moteurs de recherche

De plus, les enfants font face à des freins particuliers : l’orthographe, donc, mais aussi la frappe, la formulation des requêtes et le déchiffrement des résultats. Ils auront ainsi tendance à regarder le clavier lorsqu’ils tapent pour être sûr de leur frappe, rendant du coup la saisie semi-automatique inutile. Ils ont aussi du mal à trouver de nouveaux sites, alors qu’a contrario, ils ont une vision positive du web qu’ils considèrent comme un espace de liberté (et pas un nid à dangers, la vérité sort de la bouche des enfants). Une situation résumée par une comparaison par Yolanda, du haut de ses 11 ans plein de bon sens : “C’est comme faire du piano mais on savait pas en faire“.

Sophie Mateo, qui connait bien l’univers des moteurs de recherche puisqu’elle aussi salariée chez Google France, dans la partie publicitaire, a interrogé sept enfants de 8 à 11 ans. Quand on leur dit “recherche”, sans surprise, ils répondent Google comme leurs cousins d’outre-Atlantique. Le site est souvent la page d’accueil par défaut de l’ordinateur, un (non) choix des parents, sur la session desquels ils surfent aussi. Son enquête a montré les mêmes difficultés des enfants français pour se servir des moteurs de recherche et une utilisation restreinte : ils connaissent peu de sites.

Les moteurs de recherche pour enfants sont inefficaces

Elle a aussi constaté le manque d’efficacité des moteurs de recherche pour enfants. Dans un sens ce n’est pas grave car ils sont inutiles. Elle a testé sept moteurs de recherche, dont des outils français, sur la requête “elefan”, volontairement mal orthographié, tel qu’un enfant de 7 ans l’écrira. Résultat, un seul a fourni une bonne réponse, Kidrex. Le service, qui utilise Google propose alors “Did you mean elephant ?” Les autres, les américains Yahoo Kids et Askkids, et les Français Babygo (une initiative de Free, qui indexe des contenus approuvés), Takatrouver (même principe mais à l’origine, un instituteur et il propose aussi des activités, jeux, cuisine, et vise aussi les parents et les profs), Furty (centré sur les animaux) et Kidadoweb (un annuaire spécialisé), font choux blanc.

Ils proposent une interface graphique jolie mais sans valeur ajoutée, déplore Sophie Mateo.

Et encore, jolie, du goûts et des pixels… Ils ne savent pas non plus répondre à une requête de plus de cinq mots-clés, souvent plus, écrite sous forme de phrase telle qu’ils la poseraient à l’oral. “Ils visent plutôt à faire du contrôle parental qu’à proposer aux enfants des résultats pertinents”, résume-t-elle.

Autre difficulté, a-t-elle noté, les parents et les enseignants ne sont pas toujours à même de les aider. Déplorer, à juste titre, l’omniprésence de Wikipedia est une chose, apprendre à élargir le spectre de ses sources d’information une autre.

Quelles solutions pour un vrai apprentissage ?

Pour améliorer tout ça, les deux chercheuses ont avancé des pistes. De son constat, Hilary Hutchinson avait tiré les idées suivantes :

Améliorer la recherche semi-automatique en plaçant la box texte en bas de l’écran, pour attirer leur regard pendant la frappe ; proposer moins de résultats, moins de liens, avec plus de vidéos et d’images ; adapter le contenu des réponses au niveau de lecture ; proposer une recherche ou une navigation vocale

Sophie Mateo a complété ces solutions. On commence par un pan d’éducation numérique, destiné aussi bien aux adultes qu’aux enfants.

Ils doivent apprendre le ciblage des sujets, la pertinence des mots-clés, le choix des sites. Les enfants devraient aussi apprendre la dactylographie en même temps qu’ils apprennent à lire et à écrire puisque, de plus en plus, leur milieu d’apprentissage se créé et se développe avec l’ordinateur.

Côté moteurs de recherche pour enfants, on arrête de faire mumuse avec la palette graphique et on se concentre sur la partie technique pour proposer des résultats adaptés aux enfants. L’idéal, tenir compte de l’orthographe des enfants tout en contribuant à l’améliorer :

Google pourrait proposer, après son : « Essayez avec cette orthographe » à l’enfant de récrire sa requête correctement, de façon à ce que l’enfant prenne en compte l’importance de l’orthographe pour avoir le résultat désiré.

Dans tous les cas, même si les moteurs de recherche ont encore un long chemin devant eux pour s’améliorer, même si les moteurs de recherche nous proposent parfois des réponses hors sujet à notre demande, le secret de la bonne réponse se trouvera toujours dans la bonne requête”, conclut-elle.

Quand on demande pourquoi il n’existe pas de moteur de recherche bien fait pour les enfants, Sophie Mateo avance l’argument financier : cela demanderait ses sous, or les enfants ne sont pas intéressants pour les annonceurs. C’est un peu plus tard, quand ils approchent de l’adolescence, vers 12-13 ans et que l’argent de poche devient un peu plus conséquent. On se dit alors que ce serait bien si l’UE pourrait servir à développer ce genre d’outil, cela aurait du sens. Et puis on pense à Quaero, qui devait faire concurrence à Google et on se dit que c’est mal barré.

Internet, c’est comme s’ouvrir au monde“, “Internet, c’est dès que tu allumes un ordinateur, tu cliques sur le ‘E’ bleu et il va y avoir Internet qui apparait“, “Internet ça sert à chercher des choses“, “c’est tout le temps vrai Wikipédia“  “Internet ça sert à jouer à des jeux ou travailler” “des fois ça déconne alors faut éteindre et après rallumer“, “YouTube, c’est un site où on peut rechercher toutes les musiques qu’on veut“… : drôle, rafraîchissant, parfois un peu flippant – l’éducation au numérique, toujours… – , voici le digest vidéo des entretiens avec les enfants.

À la fin, les petits internautes suggèrent leur moteur de recherche idéal pour enfants : “un casque accroché à un mini-écran équipé d’un micro où on dit sans taper“, “parce que quand on a six ou huit ans, on fait beaucoup de fautes d’orthographe et des fois on comprend pas ce qu’on dit“. Les ingénieurs de Google écouteront-ils cette demande ?

Et pour ceux qui veulent lire dans le détail l’étude :

Sur le même sujet :

Cette étude récente menée par Fréquence écoles, association d’éducation des jeunes aux médias, “Comprendre le comportement des enfants et adolescents sur Internet pour les protéger des dangers”. Elle analyse dans le détail l’utilisation d’Internet par les jeunes dans la région Rhône-Alpes. (télécharger le rapport complet).

L’éducation numérique, c’est pour bientôt ?

Par ailleurs, OWNI mène un travail collaboratif pour élaborer une plaquette de prévention sur Internet, en lien avec les missions prévention et communication de Paris. Un blog et un wiki sont à votre disposition.

Crédit Photo CC Flickr : iboy, Sneddon.

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