Aides à la presse: un équilibre délicat

Le 19 août 2010

S'il n'y a pas de presse sans subventions des pouvoirs publics, tout l'enjeu est que cet argent soit donné sans nuire à l'indépendance des titres aidés.

Dans une tribune publiée mi-juillet par le très libéral Wall Street Journal, Lee Bollinger, président de l’université Columbia et auteur de A Free Press for a New Century (Oxford, 2010), plaide sans détour pour l’impensable : subventionner la presse.

Impensable parce que, selon la vulgate, le lecteur – et, partant, son vote pécuniaire – sauraient seuls décider de ce qui mérite d’être publié, et parce que ceux qui s’érigent en contre-pouvoir ne pourraient dépendre d’un pouvoir. C’est pourtant une toute autre histoire que raconte M. Bollinger : «Le journalisme américain n’est pas que le produit du libre marché, mais un système hybride d’entreprise privée et de soutien public», explique-t-il. La plupart des grandes infrastructures ont bénéficié du soutien fédéral ou des États et «dans les années 1960, notre réseau public de diffusion a été lancé avec des subventions publiques directes et avec la mission de produire un haut niveau de journalisme indépendant de la propagande et de la censure du gouvernement.»

900 millions de dollars économisés en impôts directs et taxes

De fait, comme l’a montré une étude de l’USC Annenberg, la presse papier américaine économise chaque année quelque 900 millions de dollars en impôts directs et taxes et les sites web bénéficient d’un crédit fiscal évalué globalement à 3 milliards de dollars, les aides postales couvrent plus de 10% des frais d’acheminement avec 288 millions de dollars en 2008 (contre près de 2 milliards en 1967, soit les 3/4 du coût d’alors). (source pdf : Public Policy & Funding the News, USC Annenberg, Université de Californie du Sud, janvier 2010.)

À titre de comparaison, en France, la TVA à 2,1% qui s’applique à la presse papier (contre 19,6% pour le régime général) représentait en 2008 un manque à gagner de 205 millions d’euros, les tarifs postaux préférentiels 550 millions (dont plus de la moitié à la charge de l’Etat) et l’ensemble des aides à la diffusion 665 millions annuels.

Même la presse allemande, exemple régulièrement cité parce qu’elle ne touche aucune aide directe (interdites par la Loi fondamentale), n’est taxée qu’à 7% contre 16% et le transport de la presse à un tarif «abordable» est garantie dans le cadre du service postal universel. Quant à la presse britannique, elle aussi privé de subventions publiques directes, elle est tout bonnement taxée à 0% (contre 17,5% pour les marchandises). (source pdf : les aides à la presse en Europe, in Rapport d’information (Sénat) sur le fonds d’aide à la modernisation de la presse, Paul Loridant, 2004.)

Il n’y a donc pas de presse sans subvention des pouvoirs publics. Mais il y a des façons de distribuer l’argent public qui rendent plus ou moins dépendant de l’aide. Cela n’empêche pas pour autant les journalistes de ces médias d’exercer leur mêtier, d’autant moins qu’ils ne sont pas les destinataires finaux de la subvention : une aide pour l’équipement d’une imprimerie aidera les fabricants de rotatives, une subvention pour une nouvelle formule bénéficiera aux agences qui l’imagineront et la mise en place d’un nouveau système éditorial enrichira les entreprises informatiques qui les conçoivent…

Même là où la presse gagne de l’argent, les États donnent d’une façon ou d’une autre un coup de pouce aux médias. Ceci pour éviter une consolidation des positions acquises par quelques journaux et permettre l’éclosion de nouveaux projets de presse au nom du pluralisme de l’information. Ce qui signifie que toute publication contribuant à ce pluralisme doit pouvoir bénéficier de ces aides sans que l’État ne se soucie du contenu.

Là est toute la question : comment juger de la pertinence de l’aide (telle publication contribue effectivement à l’information du public et à la formation de son jugement) sans se mêler de ligne éditoriale (c’est-à-dire refuser d’aider celui qui critique l’action publique) ? Comment se faire aider sans lier sa survie au sort de ceux qui octroient les subventions ?

Billet initialement publié sur le blog de Vincent Truffy, sur Mediapart.

Dans le cadre de notre dossier sur les subventions à la presse, vous pouvez retrouver l’interview de Philippe Jannet (PDG du Monde.fr) ainsi que notre article pointant le manque de contrôle de la part du fonds de modernisation.

Image CC Flickr : roboM8.

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