Les Halles : la verrue de Paris soignée à l’acide
Fruit d'une concertation en 2004, la refonte du quartier parisien des Halles a produit de belles expos... mais on attend toujours les idées pour redynamiser le centre de la capitale.
En matière d’urbanisme, chaque ville à sa verrue. La définition d’une verrue est purement subjective et relève finalement de l’analyse de chacun, de la conception même de la ville à son esthétique. Là où les verrues sont intéressantes, c’est l’étonnante activité cérébrale qu’elles procurent de la part des architectes et urbanistes sous l’impulsion des commanditaires ou des associations de quartier. Là où elles sont essentielles, c’est qu’elle donne le moyen de se pencher sur le devenir d’un site, approprié ou rejeté par une partie de la population locale. Chaque ville à sa verrue, et chaque cité se donne les moyens, ou non, de réparer un élément dangereux pour la survie esthétique de la ville, nuisible à l’imaginaire même que l’on se fait de la ville et enfin et surtout, réparer un élément né d’une bêtise, d’un manque de projection, d’un fuite totale de la cohérence.
Lyon a réparé les berges du Rhône, vaste couloir abandonné jusqu’à la fin des années 2000, en un parking salubre et un terrain vague infâme, en plein coeur de la cité rhodanienne. Aujourd’hui, une grande allée verte relie la Cité Internationale au Stade de Gerland, le long du Rhône, rassurant les lyonnais qui se sont réappropriés leur fleuve.
D’autres exemples, Canary Wharf à Londres (même s’il n’est pas en position centrale dans la ville) ou le centre ville portuaire d’Hambourg, montrent les espaces reconquis, réhabilités, transformés. Mais jusqu’à quand ?
Les Halles, enclave en décrépitude et objet de convoitises
Dans notre capitale, cette verrue se nomme Les Halles. Le ventre de Paris d’Emile Zola fait l’objet d’un questionnement permanent : quel avenir, quel rôle, quel visage. Il est de bon temps de ne pas s’interroger sur ce qui a poussé, dans les années 1970, les décideurs et architectes à un tel massacre : le forum actuel. Il est en revanche conseiller de se projeter afin de ne pas revenir sur des décisions absurdes, déformant un quartier, nuisant à l’esthétique urbain du centre de Paris, apportant son lot de réseau saturé, de fréquentation douteuse et de trafic en tout genre.
Ne revenons pas sur la destruction des halles centrales historiques qui, à l’image des halles de la ViIlette, sont le témoin architectural d’une époque et peuvent être transformées en un espace culturel ou commercial au concept original et respectueux. Ne revenons pas sur le “tout béton” qui se fissure aujourd’hui, les verrières qui volent en éclat, cette crasse permanente qui rappelle oh combien le ventre de Paris est en effet un sujet que nul ne maîtrise.
Projetons-nous et regardons ce qui se trame, derrière la dernière volonté d’un Maire de Paris sur le départ, derrière des associations de quartier qui ne souhaitent ni bruit, ni odeur, ni fureur, derrière le coup d’éclat d’un réseau d’architectes-urbanistes qui voient en ces réflexions l’occasion de stimuler leurs ardeurs.
En 2004 est lancé une concertation sur le devenir du quartier des Halles, remettant partiellement en cause le projet des années 1970. David Mangin remporte la première phase et doit coordonner l’ensemble du projet dont celui du Carreau des Halles, concours remporté par Berger-Anziutti pour remplacer l’actuel forum. L’exposition au Pavillon de l’Arsenal (métro Sully-Morland) jusqu’au 6 mars permet de se rendre compte du projet retenu grâce à une splendide maquette (dans sa conception).
Le projet des Halles, présenté dans cette maquette, s’organise autour de deux points : la Canopée et le Pôle transport. Si le deuxième, davantage technique, permettra de réorganiser l’actuelle plus grande gare souterraine du monde, le premier est le plus intéressant en matière architecturale puisqu’il donnera la forme au projet global. Des croquis, vidéos et autres maquettes permettent au visiteur de comprendre l’essentiel du projet. Nous aurons ainsi tout le loisir de comprendre comment cette Canopée va révolutionner le centre-ville parisien. Un autre lieu permanent accueille le visiteur curieux de ce projet : il est situé dans le première bâtiment des Halles, en rez-de-chaussée. Moins exhaustif que celui de l’Arsenal, il permet d’apporter des informations nécessaires pour nous préparer à ce changement radical.
Le projet : une absurdité centralisatrice dans une ville dynamique
Radical, ce projet ne l’est pas. Déplacer le problème sans le régler, tel est le leitmotiv habituel des Halles de Paris. Car les Halles resteront les Halles. Le site est trop vaste pour réellement créer une identité forte, trop petit et trop imbriqué dans le noyau central parisien pour faire l’objet d’une refonte architecturale. Car la verrue des Halles n’est pas seulement architecturale.
Tout réaliser en un point central dans une région de douze millions d’habitants est clairement une absurdité. Certes la Canopée permettra de gommer les parapluies actuels du forum et ses vétustes verrières. Mais combien de temps ? Un nouveau jardin remplacera l’ancien. Un tilleul pour un marronnier, une allée simple bétonnée contre une allée double sablée : qui peut nous faire croire que nous fréquenterons davantage cet espace vert ?
Nous pouvons prendre le pari qu’en 2037, nous en seront au même point : que faire des Halles? Vidées de leur substance, dénuées de leur vocation, les Halles apparaissent une fois de plus comme un vaste enclos où l’intelligentsia parisienne refuse la créativité. Le projet retenu, le moins osé et le moins captivant, est révélateur d’un cruel manque de modernité.
Courrez donc voir ce que deviendra le grassouillet ventre de Paris. Pour une raison : la splendide maquette. Il n’échappera à personne qu’une verrue urbaine ne meurt jamais, elle repousse des années plus tard, plus forte, plus vicieuse aussi. Mais sans remède apparent, on peut malgré tout la rendre attractive par quelques touches de modernité, de réactivité et d’invention.
Billet publié initialement sur Sharknews sous le titre L’urbanisme parisien en panne de vision: le projet des Halles
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