Entre SDF et mal-logés, un constat pour le moins alarmant
Les mal-logés, les sans-domicile (et tous les autres) doivent faire face à une pénurie de logement sociaux et à un parc locatif privé restreint. Vision d'une inefficacité des politiques publiques en la matière.
Dans le cadre de mon cursus universitaire, j’ai réalisé un stage de fin d’études au sein d’un des plus grands bailleurs sociaux de France, ce qui a donné lieu à l’écriture de mon mémoire sur “L’appropriation du développement durable par les bailleurs sociaux“. Pour ce faire, j’ai du me lancer dans de nombreuses recherches sur les problèmes de logement en France, et les réponses apportées par les pouvoirs publics au fil du temps. Très vite, j’ai vu que le logement était victime de ces vilaines petites manies bien de chez nous : rigidité administrative, évaluation très insuffisante des politiques menées, et surtout une effervescence législative démentielle !
Abondance de lois mais aucun impact sur le logement
Honnêtement, je ne suis même pas arrivé à faire une liste complète de toutes les lois votées sur le sujet, qui se sont empilées les unes sur les autres. Depuis que le logement est devenu un sujet politique (il y a environ un siècle et demi), le rythme de l’ingérence publique n’a fait qu’augmenter, et depuis les années 1990 nous sommes passés à une nouvelle loi tous les un ou deux ans en moyenne… soit à chaque changement de ministre en gros. L’accès au logement est l’un des domaines privilégiés de la législation émotionnelle à répétition, à l’instar de la folie sécuritaire. Pour autant, les difficultés liées au logement ne se sont pas arrangées. Dans son rapport 2011 sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre a dressé un constat assez édifiant :
Dans une société aussi organisée et riche que la nôtre, et sensée par ailleurs être “solidaire“, on se demande comment il est possible qu’1% de la population soit privé de domicile personnel, et qu’il y ait plus de 130 000 personnes vivant dans la rue. Surtout pour un pays dont les dépenses publiques s’élèvent désormais à plus de 1000 milliards d’euros chaque année !
Tout d’abord, il ne faut pas perdre de vue le fait que les situations des sans-domicile sont très hétérogènes. Dans son rapport annuel (2009), l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS), chargée du contrôle et de l’évaluation des politiques publiques de la sécurité sociale, a dressé une liste des différentes catégories (page 51) :
le «clochard», tel que le sens commun l’entend, qui subsiste très minoritairement, sédentarisé ou non, le «travailleur pauvre», employé ou ouvrier en emploi précaire, le «jeune» en rupture familiale ou issu d’une prise en charge institutionnelle (aide sociale à l’enfance, protection judiciaire de la jeunesse), les personnes en souffrance psychique ou à comportements addictifs, les étrangers dépourvus de titre de séjour, installés en France ou en transit, les anciens détenus, et les familles avec enfants expulsées de leur logement (un quart des personnes sans abri est accompagné d’enfants…).
La catégorie la plus représentée est celle des étrangers sans titre de séjour, pourchassés qui plus est par la politique menée en matière d’immigration. Si l’on s’en tient aux seuls sans domicile francophones présents en France qui ont pu être enquêtés par l’INSEE en janvier 2001, la part des étrangers serait de 29 %, soit une proportion quatre fois plus élevée que dans l’ensemble de la population française. Voici l’étude INSEE la plus récente sur le sujet.
Le rapport de l’IGAS permet d’en savoir plus sur la politique menée pour venir en aide aux sans-domicile:
En premier lieu des moyens dédiés à l’hébergement. L’hébergement d’urgence (près de 27 000 places) offre un abri, un diagnostic, une orientation. L’hébergement de stabilisation est destiné aux personnes pour lesquelles une insertion professionnelle n’est pas prévisible à brève échéance (près de 8 000 places). L’hébergement d’insertion accueille les personnes ou les familles qui connaissent de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d’insertion, en vue de les aider à accéder à une autonomie personnelle et sociale ou à la recouvrer (30 000 places). À côté de ces dispositifs dédiés, les deux tiers environ des logements conventionnés à l’aide au logement temporaire (soit 15 500 logements) accueillent des personnes en attente d’un logement durable. Les places d’hébergement et de logement adapté sont financés principalement par l’État, pour un budget d’environ 800 millions d’euros.
(page 6 du rapport de l’IGAS)
De fait, il n’y a donc pas assez de places pour tout le monde…
Mais encore faudrait-il que les sans-domicile profitent des places existantes ! Selon les secteurs, ce n’est pas toujours le cas. Notamment, parce qu’il est difficile de connaître avec précision les besoins à un endroit donné, ou les profils des personnes concernées. La dernière enquête détaillée de l’INSEE date de 2001, et il n’y en aura pas de nouvelle avant 2012. En clair, la politique n’est pas assez adaptée. Dans son rapport, l’IGAS fait de nombreuses propositions pour améliorer l’efficacité des dispositifs, elle pointe du doigt des structures en trop grand nombre et demande à ce qu’elles soient fusionnées, ou à défaut que les efforts soient davantage coordonnés.
Des logements sociaux pour ceux qui n’en ont pas besoin
Parfois, pour améliorer la situation, il suffit de choses très banales, telles que la simplification de la demande de logement social, par exemple. L’IGAS précise qu’il a fallu attendre l’année 2009 pour que des fichiers communs à tous les bailleurs soient mis en place, ce qui est tout de même la moindre des choses ! Mais bien plus grave, apparemment, le passage des centres d’hébergement d’urgence aux logements sociaux n’est pas aussi aisé qu’on pourrait l’espérer…
A la page 71, l’IGAS résume la situation :
En fait, un accès plus fluide des personnes hébergées aux logements «très sociaux» supposerait notamment que le taux de rotation des personnes occupant des logements de ce type puisse être accéléré, et cette accélération passe elle-même par un accès plus aisé au logement social, qui nécessiterait à son tour que les sorties du parc HLM vers le locatif privé soient plus nombreuses : c’est en définitive toute une chaîne dont il conviendrait de modifier le fonctionnement. Une partie majeure de l’offre de logement social est financièrement inaccessible à ces personnes, qui ne peuvent souvent prétendre qu’à un niveau de loyer très social, alors même qu’elles représentent environ 80 % des demandeurs de logement social
Ubuesque, les logements sociaux sont trop chers pour les pauvres.
Dans un billet éclairant, Vincent Bénard expliquait il y a déjà deux ans que : 2,25 millions de ménages qui ne devraient pas avoir besoin d’aide publique pour se loger occupent un logement aidé. Pour rappel, il y a environ 4,2 millions de logements sociaux en France. En résumé : Plus de la moitié des logements sociaux sont occupés par des gens qui n’y ont pas leur place. Pire, il y aurait 50 000 ménages parmi les plus riches, gagnant entre 11 200 à 13 500 euros par mois, qui occuperaient actuellement des HLM.
Dans une étude comparative, l’OCDE précise pourtant que : “Les systèmes de logement social qui sont orientés vers ceux qui sont le plus dans le besoin semblent atteindre leurs objectifs à un coût moindre que des systèmes moins ciblés“. Donc, non seulement les logements sociaux ne bénéficient pas à ceux qui en ont le plus besoin, mais en plus ce choix économique coûte plus d’argent ! Vous l’aurez compris, l’une des principales urgences serait de demander aux ménages les plus riches, mais aussi à la classe moyenne, de quitter les logements indûment occupés.
De plus, j’estime qu’il faudrait enfin songer à regrouper les différents organismes HLM publics : il y en a près de 300 en France, soit une moyenne de 3 par département. Pour les départements les plus peuplés, comme le Nord, pourquoi pas. Mais pour les zones quasi-désertiques, franchement ?
Et dans le privé? Prix exorbitants et faible pouvoir d’achat des plus pauvres
Mais si tous ces gens, sensés avoir les moyens de se loger dans le privé, préfèrent opter pour un logement social, c’est aussi parce que se loger coûte bien trop cher. Le marché de l’immobilier en France souffre d’un important problème d’offre, et depuis longtemps, qui ne parvient pas malgré toutes les incitations fiscales possibles et imaginables à satisfaire la demande.
Sans faire dans le simplisme béat ni dans l’exagération inutile, il n’y a nul besoin d’aller chercher bien loin pour en comprendre les raisons principales : la réglementation qui restreint les nouvelles constructions dans des zones bien précises, généralement celles qui en ont le plus besoin. L’interdiction de construire en hauteur est la difficulté majeure : elle limite le nombre de logements dans les grandes villes, et donc les prix s’envolent. Et en plus elle pousse à une extension urbaine destructrice d’écosystèmes ! Je croyais qu’on était passés à une société de développement durable ? Il est temps de supprimer ces interdictions, généralement prises sous des prétextes obscures, et d’un soi-disant “intérêt général” qui n’est jamais défini. Certes, les grandes villes seront plus denses. Et alors ? Il faut savoir si on veut offrir un logement pour tous ou pas…
Il ne faut pas oublier non plus les problèmes sempiternels de la France : un chômage de masse depuis 30 ans qu’aucune politique publique n’est parvenue à endiguer (cas unique dans les pays de l’OCDE) et une fiscalisation qui détruit le pouvoir d’achat des français les plus pauvres, un système de subventions et de réglementations incompréhensible du fait de sa complexité et de la multiplication des acteurs en charge, l’idéologie de la conservation du patrimoine qui pousse à sauvegarder précieusement le moindre morceau de pierre, etc etc…
Bien que le rapport de la Fondation Abbé Pierre soit indispensable pour connaitre la situation du mal-logement en France, en revanche certaines des propositions qu’elle avance pour résoudre la crise en cours laissent à désirer, tant cela serait en réalité contre-productif, en particulier en ce qui concerne un renforcement du “contrôle des loyers”. Toutes les études et enquêtes ont montré, depuis des décennies, que le contrôle des loyers n’a que deux fonctions : l’augmentation du coût des loyers dans les logements non contrôlés et la diminution des constructions nouvelles, du fait de la crainte des propriétaires de perdre de l’argent. Bref, tout le contraire de l’objectif fixé.
En définitive, la crise du mal-logement est l’un de ces sujets de société auquel des réponses simples, rapides et efficaces pourraient être apportées. Mais le choix du conservatisme et des intérêts en place fait qu’elles sont sans cesse repoussées. De fait, il y aura encore des sans-domicile dormant dans la rue pendant un sacré bout de temps. Jusqu’à quand ?
Billet publié initialement sur Singularité et Infosphère sous le titre Comment résorber la crise du logement?
Illustrations Flickr CC Damien Roué, Marc Donnadieu
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