PKM: “Faire du CNN un aiguillon de la politique numérique”

Le 2 mars 2011

Entretien avec Pierre Kosciusko-Morizet, boss de PriceMinister en charge de donner forme au Conseil national du numérique, promesse de campagne de Nicolas Sarkozy, "courroie de transmission" entre le politique et les acteurs du net.

Voulu par Nicolas Sarkozy, chapeauté par Éric Besson, le Conseil national du numérique, bien nommé “CNN”, devrait bientôt voir le jour. Chargé de réfléchir aux orientations de ce conseil des sages du numérique, Pierre Kosciusko-Morizet, président de PriceMinister et frère de vous savez qui, a remis son rapport le 14 février dernier. Le document de travail, rendu public quelques jours plus tard -et consultable en intégralité sur PCINpact-, a suscité de nombreuses réactions, pour la plupart positives, ce dont se félicite “PKM”. “En matière de numérique, a-t-il confié à OWNI, c’est difficile d’obtenir des retours enthousiastes, alors oui, nous sommes contents !”

Volonté d’indépendance, rejet de la casquette de régulateur et correction de certaines erreurs d’appréciation (dont une chiquenaude remarquée au chef de l’Etat: “l’Internet n’est pas le ‘far web’” (p. 14) ), le tout présenté sans détours ni langue de bois, ont séduit les observateurs.

Quelques doutes subsistent néanmoins, sur les valeurs et surtout l’efficacité réelle du futur Conseil, dont la création devrait être actée d’ici deux à trois semaines, indiquait il y a quelques jours le responsable juridique de PriceMinister Benoît Tabaka. Une information confirmée par PKM, qui se livre pour OWNI à une petite explication de texte.

Quelles sont les missions du CNN ?

Le CNN doit être deux choses. Tout d’abord un lieu de dialogue, le plus en amont possible. Sinon, sans consultation, il y aura nécessairement opposition et une réaction hostile aux projets de loi. Les “c’est du n’importe quoi”, les “c’est pas bon” repartiront de plus belle. Il faut sortir de cette boucle.

Il doit aussi avoir un rôle de prospective: proposer des idées pour une politique du numérique à long terme, en consultant les acteurs du secteur. Orienter la politique numérique. Le problème aujourd’hui est que bien souvent, il y a plein d’idées, des propositions sont faites, mais que chaque année et demi, le gouvernement change et que tout est bouleversé. Du coup, on ne fait rien.

Il faut se donner les moyens de regarder dans le rétroviseur, de constater ce qui a été fait ou non, de ce qui a été une réussite ou un échec. Si on revient toujours à zéro, c’est infernal ! On n’a jamais le temps de faire quoi que ce soit et ça, c’est terrible, surtout pour le numérique.

Vous insistez sur l’importance d’une consultation “systématique” du CNN “avant chaque projet de texte relatif au secteur du numérique” (p.17) ou dès que le besoin se fait sentir au Parlement. Condition d’une réussite du CNN ?

On ne peut pas obliger la  saisine du CNN. Par contre, le comité peut s’auto-saisir de certains dossiers et même en refuser certains: dans la mesure où le numérique concerne un très grand nombre de domaines, et ce de plus en plus, on ne peut pas imaginer qu’il s’occupe de chacun d’entre eux.

Après, il est vrai que si trop de dossiers importants passent sans saisine du CNN, il y aura un vrai problème.

Les réactions sont plutôt positives pour le moment. Pour beaucoup, elles saluent la distance que prend le rapport avec Eric Besson. Vous avez fait le choix de vous démarquer du ministère ?

Certains disent en effet que le rapport va complètement à l’encontre du ministre et de son plan France Numérique 2012. Je ne pense pas que ce soit aussi tranché.

En me demandant de rédiger le rapport, c’est vrai qu’Eric Besson prenait le risque de voir des avis divergents du sien. Il se doutait que je n’allait pas aller systématiquement dans son sens. Je me demandais évidemment ce qu’il allait penser du rapport, mais visiblement il a respecté mes réflexions. On ne m’a rien demandé de changer, ce que je n’aurais d’ailleurs pas fait. Eric Besson m’a remercié pour mon travail dans un communiqué, mais je n’ai pas eu d’échanges directs sur le contenu du rapport. A mon avis, le ministère est plutôt content du résultat; j’espère qu’il va le suivre.

“Le CNN n’est qu’un aiguillon de la politique numérique; son rôle n’est que consultatif”

L’indépendance du CNN reste tout de même au coeur du rapport. Pensez-vous qu’il y a un risque réel que le CNN devienne une annexe du gouvernement ?

J’ai recommandé que le CNN soit rattaché au Premier Ministre, notamment d’un point de vue financier. C’est un gage d’autonomie, ce n’est pas dirigé à l’encontre d’Eric Besson. Il y a aussi un enjeu sur le fond: Internet est un sujet transverse, il ne peut être rattaché à un seul ministère…

Après, s’il n’est pas dégagé du gouvernement, le CNN ne servira à rien. On a besoin d’une sorte de comité des sages avec des gens qui connaissent très bien le numérique. Non pas des lobbyistes, mais des acteurs dont la légitimité est reconnue, mais aussi des internautes, afin qu’ils dialoguent avec le gouvernement et le Parlement.

Le but est aussi de venir à bout de cette opposition ridicule du Parlement et du monde du numérique, jusque là impliqué bien trop tard dans les projets de loi. Forcément, le processus force l’opposition, la réticence. Cette réflexion peut mieux se passer. Un exemple: si on avait choisi ce mode de fonctionnement, on aurait évité plus tôt une absurdité comme la taxe Google.

Vous faites un constat sans détour: le politique s’y est mal pris jusque là dans le numérique et désormais, le CNN va l’assister…

Oui, mais toute proportion gardée, le CNN n’est qu’un aiguillon de la politique numérique; son rôle n’est que consultatif. Il faut être réaliste: les endroits où les décisions sont prises existent déjà.

Mais si les membres sont légitimes, et qu’on se donne les moyens de faire entendre leur voix, alors peut-être qu’on ira au-delà de l’opposition stérile que j’évoquais. Après bien sûr, certains sujets comme Hadopi, sont éminemment politiques et les oppositions seront toujours là. Mais si on peut évacuer quelques points en discutant, tant mieux.

Les parlementaires sont en demande d’une aide sur les questions du numérique ?

Franchement, oui. Parfois ils se disent un peu démunis, parfois carrément perdus et le fait d’être assailli par les actions des lobbyistes n’arrange rien…

Il faut voir que c’est un secteur très technique, qui nécessite en plus de se prononcer très rapidement.

Se pose la question de l’interlocuteur: à qui parler, sachant qu’il existe un grand nombre d’associations, très différentes les unes des autres. Celles-ci travaillent depuis longtemps à une sorte d’unification du numérique, le CNN pourrait, si ce n’est les rassembler, aller au-delà en incarnant l’ensemble du secteur. Il pourrait être une interface entre les ministères et les institutions concernées, en établissant un meilleur dialogue.

Vous n’avez pas peur que ce rôle d’assistant soit mal pris, notamment par les autorités administratives indépendantes qui travaillent déjà sur Internet ? Qu’elles vous reprochent de venir marcher sur leurs plates-bandes ?

Si, effectivement.

Prenons le cas d’Hadopi: selon moi, l’institution n’aurait jamais dû être créée. Selon moi, on va très vite se rendre compte que la Hadopi ne marche pas, certains le constatent d’ailleurs déjà. Le problème c’est que ce ne sera jamais supprimé, c’est symboliquement et politiquement trop important pour voir une telle décision survenir et c’est dommage. Le CNN ne peut pas réparer les erreurs passées, mais si il peut les éviter dans le futur… Maintenant que la Hadopi est là, le CNN peut peut-être aider à son action… Mais c’est vrai que je n’y crois pas tellement. Ca ne va certainement pas se passer comme ça.

“La légitimité du CNN dépend du casting à venir”

Certains redoutent son inefficacité. A partir de quel moment estimeriez-vous que le CNN est une réussite ou, à l’inverse, un échec?

Selon moi, c’est forcément mieux de l’avoir que de ne pas l’avoir. Je suis convaincu que s’il avait été constitué avant, on aurait évité des lois absurdes. Donc c’est forcément positif.

La question désormais est de voir à quel point il sera légitime et cela dépend du casting à venir. Il y a un risque qu’il ne soit pas bon. Cette crainte est légitime; c’est une mise en garde assez saine.

D’autres, notamment des blogueurs, s’inquiètent de l’orientation économique donnée au rapport, arguant qu’Internet dépasse cette seule considération. Qu’avez-vous à leur répondre ?

C’est précisément pour cela que nous avons mis en place la consultation publique, à laquelle les blogueurs ont finalement assez peu répondu, ce qui nous a surpris, à l’inverse des entreprises. Je ne pense pas que ça donne une couleur au rapport, c’est plus le signe qu’elles ont un intérêt pour Internet.

A l’origine, nos consultations ne mentionnaient pas vraiment l’aspect économique. C’est avec les différentes réponses récoltées qu’on en est venu à aborder ce point. Ce n’est pas complètement absurde, quand on réfléchit la plupart des grands débats sur Internet sont orientés sur l’économie du numérique: la taxe Google, la propriété intellectuelle…

Vous évoquez le G20 et la place que le CNN, s’il était créé à temps, pourrait éventuellement tenir. Quelles fonctions avez-vous en tête ?

Franchement, je n’en sais rien. C’est éminemment politique. Nicolas Sarkozy a dit que le G20 allait se focaliser sur Internet. Créer le CNN avant cet événement est donc plutôt une bonne chose. Après, je ne suis pas complètement convaincu que des choses intéressantes se dégagent dans ce cadre là. Les enjeux sont beaucoup plus compliqués, chaque pays a sa propre vision du réseau: une forme de domination culturelle pour les États-Unis, un moyen de contrôler l’info en Chine… je caricature volontairement, mais en gros c’est ça: chaque pays a des intérêts divergents.

“En choisissant la nomination, l’Élysée a voulu aller vite et certainement garder la main sur le CNN”

Quel est le calendrier à venir ?

Courant mars, il devrait avoir la publication de deux décrets -ou de deux en un -, l’un sur la nomination des premiers membres du CNN, l’autre sur la mission du CNN, qui j’espère reprendra de nombreux éléments du rapport.

Sur la nomination justement, vous étiez initialement en faveur d’une élection des membres du conseil…

L’Elysée a choisi la nomination du CNN, certainement pour garder la main dessus et pour aller plus vite. De notre côté, nous voulions des élections: du coup nous proposons une nomination pour le premier comité, pour des raisons d’urgence, mais espérons, dans un deuxième temps, après les premiers mandats de deux ans, une élection.

On peut envisager que les associations votent, collège par collège: associations de FAI, d’e-commerçants, de fournisseurs de contenu, de consommateurs, etc. Ce serait un excellent moyen d’assurer la plus grande représentativité.

Vous évoquez aussi rapidement les nombreuses candidatures que vous avez reçues pour siéger au CNN…

Oui, c’est un peu la fête ! Ils lisent tous le rapport et j’ai beau leur dire que je ne m’occupe pas de la composition, ils ne me croient pas. Les profils sont plus ou moins légitimes et très diversifiés: du grand patron de groupe aux blogueurs. Je transmets au ministère de l’industrie quand les candidatures me semblent pertinentes. Il y en a beaucoup plus que le nombre de places.

Combien de membres justement ?

Entre dix et douze, dont trois ou quatre permanents.

Rémunérés ?

Pour moi, les membres du Conseil devront être bénévoles (je précise que je l’ai été aussi pour cette mission), sinon leur indépendance ne saurait être assurée. Cela permettra aussi d’établir une structure plus légère qui est nécessaire au bon fonctionnement du CNN.

Vous déclarez en préambule du rapport que vous ne souhaitez pas être membre du Conseil national du numérique. C’est toujours d’actualité ?

Oui, je pars en vacances ! Sérieusement, je ne veux pas en être. Je ne peux pas être à la fois responsable de la mission et membre du CNN. Si cela avait été le cas, on m’aurait taxé de ne pas être indépendant et de me fabriquer un job sur mesure. Je suis en plus très occupé et pour que le CNN fonctionne, il faut selon moi lui consacrer beaucoup de temps. Mais cela ne veut pas dire que je serai absent du débat public sur le Comité et sur Internet.


Illustrations CC FlickR: leafar, PriceMinister (1, 2)

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